Avec The Northman Robert Eggers continue son travail d'exploration et de réinterprétation de mythes en s'attaquant cette fois-ci au monde nordique et à l'histoire, la culture et les traditions des vikings, plus particulièrement des guerriers adorateurs d'Odin.

Budget de 90 M de dollars en poche, soit bien plus conséquent que pour ses films précédents, ce troisième métrage du cinéaste indépendant américain lui donne l'occasion de se frotter au blockbuster d'auteur et d'en étayer sa vision. Et bordel que c'est bon !

En s'entourant d'un co-scénariste talentueux et de renom en la personne du poète islandais Sjon ainsi que de nombreux historiens spécialistes du sujet notamment Neil Price, Eggers réalise très certainement l’œuvre audiovisuelle la plus aboutie sur ces fameux Scandinaves.

Il effectue un travail admirable pour adapter la vision de cette période issue des récits fondateurs des fornaldarsögur, ces sagas médiévales légendaires. The Northman s'inspire principalement de la saga d'Amleth de Saxo Grammaticus, connue pour avoir probablement inspiré Shakespeare et son Hamlet. Ce marqueur est le principal repère d'un spectateur pas forcément familier avec les codes des sagas ou de l'univers dépeint et probablement dépaysé. D'une manière générale on peut ressentir l'influence de Conan le Barbare qui a été fondateur pour Eggers et Sjon. C'est donc l'histoire d'un prince nordique qui doit venger la mort de son père tué par son oncle Fjölnir.

La vengeance est l’un des thèmes fondamentaux de la tradition narrative nordique et plus généralement des cultures de clans où elle était un devoir sacré. Elle avait pour but de restaurer un honneur déchu. Ce n'est pas un hasard si Amleth après son exil devient un Berserk, un guerrier-fauve capable de rentrer dans une transe sacrée qui le rend à ce moment surpuissant et presque invincible. Ces guerriers sont les équivalents vivants des Einherjar, combattants d'exceptions morts au combat. Ils sont adorateurs d'Odin qui est le dieu principal et le plus important de la mythologie scandinave mais aussi le dieu de la furie guerrière et des Ases. Lorsqu'on appréhende le récit sous ce prisme on comprend l'omniprésence de la violence et le caractère immuable et absolu de cette vengeance.

Inutile donc de la part d'Amleth, incarné par un Alexander Skarsgård monstre de cinéma, bestial et habité, de s'attendre à un quelconque questionnement éthique sur le bienfondé de sa tâche ou à un excès d'indécision ou de moralité. Il est taciturne et ne semble pouvoir exprimer que sa colère. Il laisse également une grande part au silence. Ce type de narration assez impersonnel où l'on ne sait pas nécessairement ce que les personnages pensent est très spécifique au genre de la saga littéraire. Il permet de laisser le champ de l'interprétation au lecteur ou au spectateur.

Pour autant Amleth se questionnera sur son futur et la possibilité de fonder une famille en compagnie du personnage de Anya Talor-Joy lors d'un carrefour scénaristique et d'une séquence de toute beauté qui matérialise un arbre généalogique. La symbolique de l'arbre est très forte dans la mythologie nordique et rappelle bien sûr Yggdrasil, l'arbre monde. Il y a aussi la thématique de l'héritage qui est traitée. Amleth réalise cependant que le point de non-retour avait été dépassé et qu'il n'y aurait pas de fin dans le cycle de la vengeance. Cet élément apporte une subtilité notable au récit.

The Northman prend globalement des allures de conte d'une grande pureté narrative et esthétique, où les exploits deviennent des légendes et où les hommes et les femmes sont possédés par les mythes. Peu importe que le surnaturel ou le fantastique soient réels car ils le sont pour les personnages. Leur système de croyance s'incarne dans la culture matérielle. Cette dimension ésotérique issue du folklore donne une tonalité particulière au métrage, où l'immersion est décuplée. Cela ouvre alors un champ d'étude assez inédit à la lisière du socioreligieux ou de la psychologie des religions où les rites et croyances alors en vigueur sont très tangibles. La magie et le divin existent concrètement dans l'esprit des personnages. Par exemple Amleth doit réellement affronter un draugr, est réellement sauvé par les corbeaux d'Odin ou emmené au Valhalla par une walkyrie.

Le film est également marqué par une esthétique qui côtoie fréquemment le sublime. Eggers soigne chacun de ses plans et il y a un vrai sens de la composition, de la gestion de l'éclairage et de la photographie très crépusculaire. Les vastes extérieurs contrastent avec les intérieurs volontairement très dépouillés. La B.O quant à elle privilégie les instruments d'époque pour accentuer la singularité de la proposition.

On pourrait cependant reprocher un côté moins radical et jusqu'au-boutiste de l’œuvre par rapport aux travaux précédents de Eggers mais qui pourrait en contrepartie ouvrir les portes de son cinéma à un plus large public. C'est certainement imputable au gros budget et aux contraintes de rentabilité. Ainsi le carnage n'est pas aussi violent et généreux que l'on pouvait le supposer malgré quelques déchaînements. On peut regretter aussi l'usage de l'anglais majoritaire même si un travail satisfaisant à été fait sur le langage et l'expression. Certains rituels voient ainsi des personnages s'exprimer en vieux norrois et d'autres utilisent un vieux slave qui serait leur langue maternelle.

Pour autant ne boudons pas notre plaisir et apprécions cette œuvre aussi exigeante que généreuse. Robert Eggers c'est en définitive un réalisateur sur qui il va falloir sacrément compter à l'avenir.

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le 31 janv. 2024

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