Martha a peur. Martha est seule. Seule face à ses démons. Seule face aux souvenirs, aux cauchemars qu'elle a vécus au sein d'une communauté apparemment angélique, coupée du monde, qui lui avait promis le paradis. Jusqu'au jour où ce paradis s'est enténébré, quand les anges ont révélé leur noirceur. Martha a peur. Martha est seule. Elle s'est arrachée à l'emprise des anges noirs, elle s'est réfugiée chez sa sœur – qu'elle n'a pas vu depuis deux ans, dans l'espoir de leur échapper. Mais le danger s'est-il vraiment évaporé ? Martha a peur. Peur qu'ils reviennent la chercher, pour abuser de nouveau d'elle. Peur qu'ils reviennent la capturer pour l'enfermer encore dans leurs délires macabres où la mort n'est que beauté... Mais la menace est-elle tangible ? Martha délire-t-elle ? Son séjour dans la secte n'était-il qu'un mauvais rêve ?

Le maître mot du premier film de Sean Durkin est bien celui du doute, et ce dès son titre, qui jette le trouble sur l'identité de son héroïne en fragmentant son patronyme : Martha Marcy May Marlene. Identité fracturée, fracassée, d'une jeune femme à la personnalité fragile, aussi frêle que du verre, incarnée avec une belle fébrilité par Elizabeth Olsen. Martha hante nos rétines, autant qu'elle est hantée par ses propres visions, avec son regard perdu et son corps – magnifique – qu'elle semble aussi peu maîtriser que son âme. Habitée par une force dérisoire, Martha apparaît tour à tour vulnérable (les hommes de la secte abusant de sa chair) et impénétrable, un être-mystère dont on ne saura jamais de quoi il est réellement pétri. L'occasion rêvée pour le cinéaste de balayer nos repères au sein d'un drame volontairement éthéré : si l'héroïne est clairement définie comme la clé d'une énigme (mentale ?) qui la dépasse autant qu'elle dépasse ses proches, et par voie de conséquence le spectateur, nulle serrure à l'horizon, nul élément de résolution.

Seulement, si le scénario et son écrin visuel (définition douce, images constamment brumeuses) se mettent aisément au service de ce flou, ils deviennent malheureusement les inconvénients de leur propres qualités esthétiques, finissant par perdre de vue les ficelles du drame et par laisser s'étioler l'attention du spectateur. Ainsi le film n'échappe pas à de redoutables longueurs, à d'immenses flottements, distillant dans sa deuxième moitié un ennui regrettable. Aussi regrettable que la faible exploitation du caractère cauchemardesque de la secte dans laquelle Martha aurait vécu. En dehors de quelques scènes de crise à l'intensité électrique, l'intrigue ne nous convainc qu'à moitié des raisons de son départ, la menace pesant sur la jeune femme s'avère trop molle pour qu'on y croie. Et cette mollesse est telle que le dénouement nous apparaît comme exagérément abrupt, comme tronqué d'une image, voire d'une scène essentielle. Cette fin, qui pourrait néanmoins relever d'une volonté du cinéaste de briser soudainement le rythme (trop) langoureux de l'intrigue, résume à elle seule la portée du film et ses ambiguïtés, ses qualités et ses limites. Un drame certes lent, mais suffisamment hanté par des images obsédantes pour retenir notre attention. Pour un premier long-métrage, c'est déjà du beau travail !
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le 21 févr. 2012

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