Cette critique spoile le film Martyrs.


Je trouve aberrant qu'on dise du mal de Martyrs à cause de sa violence et du traumatisme qu'il peut laisser à l'arrivée du générique. Vous avez lancé un film d'horreur, à la réputation sulfureuse de surcroît, à quoi est-ce que vous vous attendiez ? Certes, Martyrs est beaucoup plus dur à encaisser que beaucoup de films d'horreur. Cependant, ça reste tout de même une expérience cinématographique unique et jusqu'au-boutiste, ce qu'on ne peut pas dire de beaucoup de films du genre qui sont sortis ces dernières années. Martyrs n'use pas de jumps scare putassier ou autres techniques malhonnêtes du cinéma d’horreur. Sa violence, son horreur, est visuelle et psychologique avant tout.


Je suis le premier à critiquer les films Torture Porn qui sont d'une idiotie et d’une vulgarité sans nom. Sauf que Martyrs n'est pas un Torture Porn à proprement parler. Dans ce film, la violence a un impact, sur le spectateur et sur les personnages, et c’est ce qui fait toute la différence. Pascal Laugier nous laisse le temps de digérer le massacre d'une famille, tout en nous montrant l'impact qu'il a eu sur le personnage qui l'a perpétré. Le film est sanglant mais pas gore. La violence est un acteur du film et laisse des marques. Et, de toute façon, personne ne vous a forcé à regarder Martyrs et personne ne vous pousse à continuer votre visionnage.


En ce qui concerne les trente dernières minutes, je trouve encore ça assez aberrant qu'on vienne critiquer Martyrs sur cela alors que c'est probablement la meilleure partie du film. Le montage nerveux de la première partie laisse place à des fondus au noir, qui rendent ces minutes interminables, impression qui est d'autant plus renforcée par le contraste du montage. Sur mon second visionnage un peu moins, mais la première fois que j'ai vu Martyrs j'ai totalement perdu la notion du temps avec ces scènes.


À chaque fois qu'un fondu au noir apparaissait, j'ai espéré pouvoir être libéré de cette horreur. Mais non, à chaque fois Laugier revient à ces scènes, encore et encore, jusqu'à ce qu'on ne sache plus depuis quand elles ont commencé. C'est une torture, on est d'accord, mais c'est exactement ce que cherche à faire Laugier et c'est foutrement réussi. Quant à la moralité de ces scènes, encore une fois, personne ne vous a forcé à voir ce film ! Et, quant à ceux qui trouvent ces scènes ennuyantes, je me demande ce qu'il vous faut pour être dérangé par un film.


L'horreur de Martyrs est intelligente car elle ne repose pas sur du suspens – non pas que cette technique est totalement condamnable, elle est juste facile. Un jump scare, parce qu'un suspens tend toujours à ça, est l'équivalent de quelqu'un qui vient derrière vous et vous fait peur. Sur le moment, ça donne un petit coup d'adrénaline mais ce n'est que pour une fraction de seconde. L'horreur de Martyrs, elle, repose sur l'angoisse, le dérangeant et le dégoût. Facile, direz-vous, et bien pas tant que ça. Les films comme Saw, The Human Centipede ou Hostel utilisent encore plus d'effets gores mais leur violence ne prend pas aux tripes comme celle de Martyrs.


C'est parce que Martyrs a l'intelligence de laisser respirer son spectateur, pour qu'il puisse mieux endurer toute son horreur. L'intelligence de Martyrs vient de là, son horreur arrive progressivement. En nous laissant pendant une majeure partie dans le flou, ne nous épargnant rien, sans être dans une violence physique et psychologique constante, mais plutôt croissante, Martyrs nous laisse créer nous-mêmes l'horreur dans notre propre tête et c’est ce qui fait sa force.


On est à la fois dégoûté et on prend aussi pitié pour la femme que trouve Anna dans le sous-sol, car elle est le parfait symbole de ce que peut faire subir un être humain à un autre, tout en restant l'incantation du monstre qu'on s'imagine étant enfant et qui nous a empêché de dormir la nuit. En tout cas, c'est ce que je ressens en voyant cette femme à qui on a retiré toute son humanité (le maquillage aidant beaucoup sur ce point). La violence psychologique de Martyrs vient de l’image et seulement de l’image, ce que peu de films ont réussi à ce jour, et qui n’a jamais été porté à un tel niveau de réussite.


Et la réussite de l'horreur vient aussi du contraste, une nouvelle fois. C'est parce qu'on a vu Lucie tirer sur une famille, innocente pour le spectateur à ce moment-là, donc une violence gratuite et qui n'a aucun impact sur nous, parce qu'on ne peut pas identifier les raisons d'un tel massacre ; bref c'est parce que Martyrs opère d'abord dans une violence physique gratuite et totalement sadique que la violence psychologique est aussi forte ensuite. Si l’une des deux parties constituait tout le film, alors on se serait vite ennuyé. C’est ce virage inattendu qui rend Martyrs aussi exceptionnel et aussi fort.


Martyrs, ou plutôt son réalisateur Pascal Laugier, mérite le respect car il arrive à porter sa vision jusqu'au bout. Martyrs c'est le sang, la boue et le vomi, certes, mais c'est surtout une expérience viscérale unique. La réalisation de Laugier nous plonge à chaque instant dans son film, de différentes manières, qui sont à chaque fois réussies – et qui passent notamment par le montage. Martyrs nous demande, devons-nous sacrifier notre humanité pour avoir des réponses à nos questions ? Cela peut paraître puéril mais la torture existe encore aujourd'hui, et cette question va au-delà de ce domaine. Et, de toute façon, Martyrs recherche l'expérience avant tout, et non pas à poser des questions philosophiques ou cinématographiques. Ce ne sont pas ses intentions, même s’il laisse matière à réflexion.


Martyrs est évidemment une expérience traumatisante, ou du moins une expérience qui ne laisse pas indifférent. De combien de film peut-on dire ça aujourd'hui ? Et je n'ai même pas parlé en détail des aspects techniques parce que je ne veux pas rendre cette critique trop longue et indigeste – j'y reviendrais peut-être un jour toutefois – mais il y a beaucoup à dire sur ce sujet. Notamment sur la lumière et le cadre dans la première partie car la mise en scène de Laugier, bien que surtout fonctionnelle, ne laisse pas grand chose au hasard.


On peut ne pas aimer Martyrs, je le conçois, évidemment, mais ce n'est pas un mauvais film, un Torture Porn vulgaire, un film pervers et de pervers ou toutes autres étiquettes dont on l’affuble avec pour seul but de le rabaisser au niveau d’autres films d’horreur obscènes. Martyrs est un bon film, avec des défauts certains, mais l'ensemble est cohérent, finement mené et surtout marquant – ce qui est, à nouveau, exactement ce que cherche le film. Martyrs se vit, s'endure, s’éprouve, en un mot c'est une torture dont la violence laisse des cicatrices au spectateur. Sauf que ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît que de réussir à faire rentrer son spectateur dans une telle violence psychologique et physique. Pourtant Martyrs y arrive, et peut-être même mieux que n'importe quel film.

Venceslas_F
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le 23 juin 2018

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Venceslas F.

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