A l’instar du titre on ne peut plus simple, "Mary" est un film tout simple, sans prétention aucune si ce n’est d’aborder une vaste problématique, d’une importance capitale. Le synopsis présenté se résume à une ligne et demie à l’instant où j’écris ces mots. Cela ne veut pas dire que le scénario soit dénué d’intérêt : en dire davantage risquerait de spoiler une grande partie de l’œuvre. Vu ce qui est révélé, on pense se diriger vers un long combat juridique pour obtenir la garde de la gamine, peut-être un peu à la "Kramer contre Kramer" (1979). Certes c’est un peu le cas (j’ai bien dit "un peu"), mais en réalité ça va beaucoup plus loin. Je viens de vous le dire, une vaste problématique est présentée, amenant de nombreuses questions, toutes liées entre elles.

Tout commence sur une tranche de vie, apparemment anodine : le premier jour d’école de Mary. Sauf que ce premier jour d’école n’est pas si anodin, puisqu’il provoque tout ce qui va suivre. Ce qui frappe d’entrée, c’est le jeu d’actrice de la jeune Mckenna Grace. Elle campe une petite Mary au caractère bien trempé, qui ne manque pas de rappeler Vada dans "My girl" (1991), interprétée alors avec beaucoup de justesse par une jeune actrice prometteuse répondant au nom d’Anna Chlumsky. Mckenna Grace supporte très bien la comparaison, et va même au-delà car elle amène un certain nombre de scènes intéressantes de par le large panel de sentiments présenté.

Sa performance a certes été facilitée par une réalisation sage, un scénario qui ne va pas trop vite en besogne, et une mise en scène maîtrisée. Les moments d’intimité ont su être captés, en témoigne cette séquence de grande discussion entre la gosse et son oncle sur un magnifique coucher de soleil rougeoyant, un moment d’échange aussi précieux que la beauté du crépuscule. La photographie s’en retrouve intéressante, voire sublimée, et le spectateur ne peut qu’éprouver une sorte de plaisir reconnaissant d’assister à ce genre de scène, un peu comme s’il était pris à témoin de cette bonne entente. Il retrouvera cette sensation à plusieurs reprises, notamment lorsqu’à nouveau, Frank et Mary discutent dans un recoin de la maison.

Mais le spectateur vivra aussi des moments forts. Que dis-je ? Poignants ! Si poignants que la larmichette risque bien de se manifester et vous remuera les sens. Je vous le dis, Mckenna Grace est épatante en donnant parfaitement la réplique à Chris Evans. On peut même dire qu’elle lui vole la vedette, ce qui parait juste en regard du titre, qui est en fait un rôle-titre.

On doit reconnaître une belle complicité entre ces deux acteurs, tout en gardant cette sorte de détachement lié à une relation presque plus amicale qu’une vraie relation père/fille, ce qui a le don de crédibiliser davantage le propos. Loin, très loin de son rôle de super-héros Captain America, l’acteur change totalement de registre en endossant le rôle d’un tuteur soucieux du bien-être de sa protégée. Certains spectateurs pourront le trouver un peu trop sage, un peu trop ténébreux, tout du moins un peu trop replié sur lui-même, ou encore un peu trop tourmenté. C’est oublier qu’être parent n’est pas un métier facile, et encore moins quand on doit élever un enfant qui n’est pas le sien. A plus forte raison quand cet enfant a une particularité. C’est une des questions posées par ce film : jusqu’où peut-on décider à la place de l’enfant ?

Une question qui en amène d’autres, qu’on pourrait qualifier pour certaines de subsidiaires, quoique inévitables car importantissimes : que doit-on faire pour le bien-être de l’enfant ? que peut-on faire pour cela ? En attendant, les maladresses de Frank n’ont pas été bannies pour argumenter le récit, et c’est judicieux car il demeure une grande peur que tout parent qui se respecte vit à un degré plus ou moins différent : celui de gâcher la vie de l’enfant. Une peur viscérale nommément exposée et à laquelle il est difficile de répondre.

D’ailleurs aucune réponse n’est explicitement apportée à cette grande crainte, en l’occurrence par le personnage de la charmante institutrice Bonnie, interprétée par une non moins charmante Jenny Slate. Oui, elle est charmante, car elle casse l’image de l’institutrice droite, sage, voire rigide. Qui pourrait croire qu’une institutrice pourrait être dévergondée, au point de se laisser traîner dans les bars, et de se laisser aller à une romance disons… "pas tout à fait dans l’ordre des choses" ? Quand vous amenez vos enfants à l’école, regardez bien ces enseignantes. Difficile d’imaginer qu’elles puissent être libérées de la sorte, tant on s’en fait un archétype et pourtant… si on y réfléchit bien, ce sont des gens comme vous et moi.

Pour en revenir aux problématiques posées, des éléments de réponses sont cependant apportés sur diverses choses. En témoigne cette longue attente dans la salle d’attente : difficile d’avoir une réponse plus explicite ! Elle est tout simplement géniale !

Même si on doit reconnaître combien il est difficile de faire patienter des enfants autant de temps dans une salle d’attente.

Tout cela sous l’œil bienveillant d’une Octavia Spencer en ange gardien aux allures de figure maternelle répondant au nom de Roberta. Ces trois-là formeront un trio pour lequel le spectateur éprouvera de l’empathie, à un degré différent pour chacun de ses personnages. En revanche, il se prendra à détester Evelyn Adler, revenue de nulle part. Lindsay Duncan en fait une personne froide, qui ne pense qu’au renom du nom qu’elle porte et de sa lignée. Son personnage entre dans la problématique du bien-être de l’enfant. Auprès de qui l’enfant est plus à même de vivre ? Auprès d’un proche qui l’a élevée comme il a pu, ou… auprès d’une lignée plus proche encore...?

Bien que restée absente durant de longues années ?

L’influence matérielle est bien entendu abordée, l'air de rien...

Bien qu’on ait déjà vu ce genre de film dans les grandes lignes, il en ressort un film d’une très grande profondeur, porté par une très bonne interprétation de tous les acteurs, Mckenna Grace en tête, un scénario très bien écrit, une réalisation à la hauteur de l’événement, une bien jolie photographie et une musique qui accompagne merveilleusement bien le tout. Le tout fonctionne donc à merveille, car "Mary" est doué d’une véracité dans le propos qui parlera à plus d’un. Certains d’entre vous regretteront peut-être un manque d’audace dans les surprises, mais c’est bien aussi de rester parfois dans la sobriété. Pour finir, le niveau de mathématiques parait quand même bien élevé pour une gamine de cet âge. Mais il fallait que ce soit flagrant pour donner une matière concrète à cette histoire. Et puis... comment pouvons-nous juger ? Après tout, de tels génies ne courent pas les rues... En somme, une réussite à découvrir absolument.

Stephenballade
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le 29 nov. 2022

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Stephenballade

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