Un certain nombre d’éléments pourraient motiver au visionnage du film : la carrière naissante d’une réalisatrice saoudienne, qui, à la suite de Wajda en 2013, tente l’aventure internationale après un détour par Netflix, et les échos que sa situation rencontre avec le destin d’une auteure en proie au conservatisme de son époque ; l’intérêt pour Mary Shelley elle-même, figure de la littérature et d’un progressisme qui forcent le respect, ainsi que des informations sur l’une des œuvres fondatrices de la culture populaire, Frankenstein ou le Prométhée moderne.


Et, bien sûr, le mobile qui coiffe au poteau tous les autres, Elle Fanning, qui pourrait faire un podcast audio sur la pluviométrie en Lybie que je m’abonnerais religieusement.


Assez fidèle à la réalité historique, le film s’attache donc cette brusque sortie de l’enfance pour une fille qui, aidée par une éducation presque libertaire, s’entiche du poète Shelley et le suit dans une bohème où elle laisse autant d’illusions qu’elle puise une force pour l’affirmation de sa sensibilité et la formulation de son génie futur. On ne peut qu’admirer cette destinée, servie avec une grâce certaine par la comédienne principale, lorsque des séquences assez subtiles le lui permettent, notamment dans la première partie.


Car pour le reste, Mary Shelley est le prototype du film académique et sclérosé jusqu’à la moelle, qui considère avec une naïveté confondante que les costumes, les décors et les rues crottées du Londres du début du XIXème suffiront à convaincre.


Résultat, tout sonne faux : le jeu de la plupart des comédiens, Douglas Booth en tête, qui peine réellement à convaincre en Shelley, poète torturé, miséreux et bourreau des cœurs, le recours à une musique poussive au possible, de menus paysages censés, de temps à autre, nous préparer à la dimension gothique du livre à venir (en gros, des arbres morts et une lune derrière les nuages, voire une image de la voûte céleste colorisée comme Instagram lui-même n’oserait pas le faire)…
Le récit s’achemine machinalement, par ellipses qui alignent fonctionnellement les séquences sans jamais permettre l’émergence d’une émotion authentique.


Quant à la gestation du grand œuvre, on en sera pour ses frais : Haifa Al-Mansour s’y intéresse très peu, privilégiant une bluette convenue et quelques vagues incursions d’un féminisme certes légitime, mais asséné à gros sabots. On aura donc droit à une séquence de sommaire d’une pesanteur rare, dans laquelle les mots surgissent d’eux même, avec musique en crescendo, effets numériques de gouttes d’encre WTF, et pages qu’on tourne avec une vague fièvre.


Un clip, en somme, qui résume parfaitement ce ratage qui pense mettre tout dans l’image et la mélodie, en négligeant ce qui fait réellement le cœur du lyrisme, à savoir la vibration d’êtres complexes dont la souffrance et les élans peuvent être les échos des nôtres.

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le 17 janv. 2019

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Sergent_Pepper

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