L'outrage bis confondu avec un classique de l'Horreur

Avec son titre évocateur, Massacre à la tronçonneuse est un peu le film d’horreur de référence pour les masses. C’est une erreur parmi d’autres dans la façon dont ce film est considéré. Massacre à la tronçonneuse est l’une des œuvres les plus surestimées de tous les temps et ne doit sa notoriété et sa réputation élogieuse qu’à des concours de circonstances favorables. Outre ce titre, donc, il y a l’effet de la censure, demeurée effective au Royaume-Uni jusqu’en 1999, si on veut s’impressionner.


Si le film a bien mis cinq ans avant de sortir en VHS en France par exemple, il a été accessible comme n’importe quel autre de son genre dès les années 1980. Cette espèce de délire fantasmatique collectif n’a fait que doper ses scores, que ce soit sur le marché de la vidéo ou dans les sorties en salles à retardement. Il lui a surtout donné un parfum d’interdit et de transgression, qui en font donc le film d’horreur total où le versant sombre de l’Humanité s’exprime, tout comme ce fut le cas pour Le Silence des Agneaux à sa sortie, dans un registre plus sophistiqué. De surcroît, en posant l’affaire « massacre à la tronçonneuse » comme un faits divers qui serait réel mais tû voir camouflé par les autorités, Hooper adopte la parfaite attitude pour créer une légende urbaine (il ré-éditera dans Massacre 2).


Ce parfum sulfureux, Texas Chainsaw Massacre l’honore aussi par ce qu’il montre ; il n’en demeure pas moins un produit bancal et même faible à bien des endroits. Le film démarre avec une bande de jeunes semi-hippies prenant en stop un bien étrange garçon, une sorte de gothique de foire ou de Jacquouille hardcore. Se déroule alors l’interminable séquence de la camionnette où sont présentés des personnages catastrophiques (y compris l’handicapé, au caractère vaguement plus subtil). Après une demi-heure d’exposition, tout le reste se déroulera dans une maison perdue du Texas explorée par ces jeunes gens sous le choc, bientôt assailli par des tueurs pouilleux, dont un homme à la tronçonneuse.


La dernière demie-heure est la descente aux enfers d’une membre du groupe, prisonnière de Leatherface et sa famille au terme d’un jeu du chat et de la souris. Les excentricités de cette petite troupe s’épanouissent alors dans une grande parade malsaine dont le point culminant est la scène du dîner. Géniale dans l’idée, elle sera reprise abondamment tant l’intention et l’image sont fortes. Si elle est assez percutante par sa folie macabre, sa valeur elle-même est à relativiser : en d’autres terme, le climax de Massacre à la tronçonneuse lui-même est incertain. Car Massacre peut produire un certain effet à la découverte, en particulier pour les néophytes de l’horreur.


Dans un contexte où l’Horreur est dominée par Psychose (1960) ou Rosemary’s Baby (1968), le surgissement d’un tel film (en 1974) est clairement un bouleversement. Pour autant, la contribution de Massacre est faible, tout comme l’intelligence de ses procédés, la cohérence et la puissance de son style. Tout est très bavard et même explicatif (littéralement) dans Massacre et ses ambitions allégoriques sont au ras-du-bitume (elles s’expriment notamment via la radio au début). D’ailleurs, Tobe Hooper s’est exprimé en des termes bassements confus et pauvrement opportunistes pour créer du sens à son bébé.


Or si Massacre est en non-conformité avec l’épouvante old school et qu’il est un pionnier dans le nouveau cinéma d’horreur, où régneront les slashers et le gore, ses critères esthétiques ne sont pas des cadeaux pour le cinéma de genre et le bis horrifique. Il peut même être considéré comme l’un des premiers totems du classicisme horrifique putassier et décérébré : des jeunes, une maison bizarre, des protagonistes tordus et régressifs, aucun enjeu particulier tant que l’attaque n’a pas commencée, puis tout le monde mourra (ou tous sauf un/une). Plus spécifiquement, Texas Chainsaw est un des pionniers du slasher, ce sous-genre qui n’aboutira véritablement que dans les années 1980, mais Halloween la Nuit des Masques sorti quatre ans plus tard (1978) est le véritable fournisseur de cet univers, en plus d’être une matrice pour toute l’Horreur.


Alors il faut savoir apprécier Massacre à la tronçonneuse pour lui-même et surtout en occultant le niveau extrêmement élevé où il est traditionnellement placé. Et on découvre un folklore étrange, un arrière-monde poisseux particulièrement gratiné. Texas Chainsaw Massacre est un spectacle crade à l’extrême et Tobe Hooper sait faire des vices de sa mise en scène des bénéfices, allant jusqu’à insister sur le grain épais et sur le bazar des décors pour donner ce résultat si impur. Il est lent, lourd, pendant une grande partie, hystérique tout le long. Le genre est à déterminer : humour nihiliste ou horreur surréaliste ? Hooper embrasse les deux et le piège tendu par sa confrérie de rednecks hostiles rend l’affaire viscérale, surtout lorsque papa se présente comme un brave bonhomme prêt à secourir la dernière survivante.


Cette bêtise crasse, ces gueules de biais, auront toujours une capacité à troubler, cependant les deux meilleurs opus de la franchise qui découlera de ce Massacre sauront se montrer bien plus redoutables et balaient rétrospectivement les arguments de cet obsolète "chef-d’oeuvre" (comme si toutes ses faiblesses à la racine ne suffisaient pas). Le Commencement, prequel arrivant après le remake (2007) et Massacre à la tronçonneuse 2 (1986), suite directe par le même Hooper, seront plus conséquents dans la folie comme dans la sauvagerie, plus élaborés sur le plan esthétique aussi.


Massacre à la tronçonneuse demeure un monument de dégueulasserie ; c’est bien là qu’il fait son office avant toute chose et sa relative misère structurelle le sert en fin de compte. Beaucoup d’arguments peuvent lui être opposé, mais il touche à un tabou au fondement de l’Horreur toute entière : c’est un film où il n’y a pas d’illusion, où on est plongé dans la réalité, une terrible réalité à laquelle on croit sans problème (plus qu’à celles de Rec ou Cloverfield). Et puis Texas Chainsaw a tout de même installé un avatar durable, celui des infâmes péquenauds random et morbides, plus vigoureux que les tueurs mutiques de service comme Jason, Michael Myers ou Leatherface lui-même.


Pour le reste, il y a une partition musicale oppressante, un happy-end tempéré pour nous rassurer et surtout des dialogues absurdes, un scénario faible, des décors glaques. Après tout, c’est Tobe Hooper : Wes Craven, sans l’idéalisme et les concepts en ébullition qui fournissaient matière à meubler, sitôt que le spectateur consent à se montrer tolérant et inspiré. Avec Hooper, il faut aimer l’exploitation pure et simple, sinon c’est perdu. Et cela s’applique jusqu’à son film-phare, avec cette nuance : l’académicien peu aventurier sera scié et pourra donc y aller de sa petite validation.


http://zogarok.wordpress.com/2014/08/19/saga-massacre-a-la-tronconneuse/

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le 18 août 2014

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