Apothéose d'un grand film en trois parties

Avant toute chose, je précise que cette critique englobe les trois films de cette "trilogie" pour la simple et bonne raison que la construction même cette dernière ne laisse aucun doute : il s'agit bien d'un film en trois parties et non pas de trois films liés par un fil rouge mais globalement disjoints. Cette précision est fondamentale dans l'appréhension de cette série de films et peut expliquer bien des critiques en plus du fait d'avoir aimé le premier épisode pour des "mauvaises" raisons mais je reviendrai sur ce point plus tard. Sur le plan pratique, en plus du regroupement de texte sur cette seule œuvre, j'ai mis la même note pour tous les films qui correspond à sa note globale qui est 10/10 (alors que je pense que je n’aurais probablement pas mis plus de 7 à n’importe quel film pris séparément, preuve qu’un tout n’est pas la somme de ses parties :))note tout aussi militante, rationnalisée et subjective à la fois au regard de l'unicité de cette production qui est une anomalie miraculeuse de marché et une chef d'œuvre monstrueux en terme de richesse thématique.


Au cours de ma vie, j'ai d'abord détesté Matrix sans jamais l'avoir vu pour des raisons tout à fait puériles de collégien : tout le monde ne parlait et des gens auxquels je ne voulais pas ressembler au collège l'aimaient donc par anticonformisme je ne l'ai jamais vu à l'époque de sa sortie. Il faut dire que le style gothique cuir était sacrément "kikoolol" à l'époque. De fait, il m'a fallu attendre à la louche environ 9 ans après le premier film (et donc 5 ans après le dernier) pour acheter ces films en (feu) HDDVD pour une bouchée de pain. En tout, j'ai vu la trilogie trois fois : en HDDVD donc, sur iTunes et finalement samedi à UGC pour un "marathon" de 7 heures qui enchaînait tous les films à la suite, pratique que j'affectionne tout particulièrement en plus du visionnage de films longs (du genre 3H30-4H00) pour l'immersion qu'elle procure et surtout parce que les bonnes œuvres longues dessinent souvent un motif cohésif qui surpasse tout ce que l'on peut voir dans des films courts aussi bons soient-ils. Et quand je regarde honnêtement Matrix, je ne pense pas avoir vu beaucoup de film en plusieurs parties qui forment vraiment un ensemble cohérent et visiblement dessiné de bout en bout ; deux ou trois tout au plus en fait. Ceci étant dit, je peux tout à fait comprendre que les suites n'aient pas eu le même impact pour ceux qui avaient patienté un ou deux ans entre les films : à ce titre, les retardataires ont un avantage sur les contemporains :)


A partir de maintenant, ma critique ne va pas faire forcément dans la diplomatie même si je vais essayer au maximum de modérer mon tempérament vindicatif mais je vais quand même commencer par dire que la plupart des critiques négatives m'ont atterrées tant elles étaient selon moi à côté de la plaque et injustifiées ; et je dis cela sans aveuglement face à ces films qui ont des défauts manifestes mais complètement secondaires.
Commençons par la critique la plus répandue : le premier film serait un chef d'œuvre et les autres des étrons qui gâcheraient la série. Or, j'ai beau prendre le problème par tous les bords possibles, je ne vois absolument rien dans mon ressenti qui justifie cette attaque. Je balaie tout de suite les remarques du type "oui mais le premier était révolutionnaire blabla…"...pour ma part je ne vais pas au cinéma pour voir un truc "nouveau" juste pour sa nouveauté technique ou scénographique, j'y vais pour voir une histoire, un film qui a ses objectifs qu'il essaie de rendre à l'écran. En clair, la technique n'est qu'un support à un fond, ce n'est absolument pas une fin en soi ; vous pouvez ne pas partager cet avis, mais même si ce que vous dites est vrai, selon moi ce genre de loisirs n'ont aucun intérêt. En fait je dirais même que si le premier était plus surprenant à l’extérieur, il est dans le fond le plus chapitre le plus classique et consensuel pris séparément (et ce n’est pas une critique de ma part attention, encore une fois selon moi Matrix est un ensemble indivisible). Comme quoi...
Passons aux suivantes, mais lesquelles ? En filigrane, je retiens trois axes présents dans les discours des détracteurs des suites :
- ceux qui finalement voyaient dans Matrix uniquement un film d'action sans se soucier, ou alors de manière très superficielle, des thématiques et de l'atmosphère du film au niveau plus sensible. Du coup, le fait de simplement continuer et illustrer ce qui était annoncé dans le premier film (découvrir la réalité et remplir son rôle d'Elu) n'a pas été bien reçu alors que Matrix est très clairement une introduction.
- les déçus de Zion : pourtant les réalité n'avait jamais été annoncée comme glamour et même si certains éléments sont chelous (la danse orgiaque par exemple), c'est bel et bien tout à fait logiquement ce que l'on pouvait attendre. La Matrice en elle-même n'est pas l'échelle des évènements même dans le premier.
- les gens qui trouvent ridicules que Neo devienne une sorte de Superman et qu'il y ait 6 milliards de Smith : pourtant tout cela a été introduit dans le 1, Neo vole à la fin et son dépassement des règles était inscrit. Quant à la duplication de Smith, le fait que tout ceci soit un programme est bien intégré au récit depuis le départ, d'ailleurs j'ai rarement vu un film de SF qui présente des concepts informatiques de façon aussi sérieuse, normalement on a des interfaces graphiques cool avec un baraqué qui manipule deux ou trois écrans holographiques. Rien que les agents représentent la dualité IRL/Informatique. :)


Bref, en clair, je pense que les films suivants ont surtout perdus ceux qui y voyaient un film "cool"/"révolutionnaire"/"générationnel" ou tout simplement ceux qui ont répété ce que les autres ont dit (car cela m'étonne qu'un film de cette qualité, même considéré tout seul, soit au dessous d'énormes étrons qui sortent aujourd'hui ou avant en tous points inférieurs, l'effet domino/grégaire est rarement à écarter). Cette dernière remarque clôt l'instant polémique qui me vaudra sans doute quelques pouces rouges, je peux passer à mes impressions sur l'ouvre en elle-même.


La première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à Matrix, ce qui a été confirmé par ce "marathon" UGC à la chaîne au cinéma avec toujours le même petit groupe de spectateurs, c'est que c'est la définition de l'épopée relativement classique si l'on retire tout l'univers du film en se concentrant uniquement sur la suite des évènements. Après le récit d'apprentissage et d'éveil du héros dans le premier, avec ses moments de doute, ses mentors, sa maturation, les évènements changent complètement d'échelle pour se transformer en guerre monumentale à très grande échelle avec une montée exponentielle de spectaculaire dans le troisième épisode et dans la deuxième moitié du second après une mise en place forcément un peu longue des éléments nécessaires à ce changement monumental d'échelle. A ce titre, je peux comprendre que voir le deux au cinéma puis attendre un an biaise l'évaluation de ce film : encore plus qu'avec le premier, forcément adapté pour tester le marché, je pense clairement qu'il faut absolument voir le troisième tout de suite après (soit vraiment juste après ou au moins le lendemain) tant les deux s'équilibrent et forment un ensemble pensé comme tel. Ainsi, Matrix 1 est à Matrix 2 et 3 ce qu'est Shenmue 1 à Shenmue 2, une mise en place plus intimiste et restreinte des enjeux personnels du film quand les suites proposent de développer les enjeux globaux de toute la série. Cette rupture est d'ailleurs une grande force de ce film (note : quand je dirais "ce film", je parlerai des trois film comme une seule œuvre à dessein) puisqu'elle introduit à la perfection ce qui nous attend (ce qui est annoncé par Morpheus et qu'on avait du mal à voir dans le premier hormis la condition humaine dans les champs, l'oppression de Zion était abstraite) tout en dessinant même une réalité surprenante dans on intensité pire que ce que l'on imaginait. Selon moi, l'esthétique du monde réél


ou d'une deuxième matrice intermédiaire ? Après vérification cette théorie existe mais même sans la connaître je pense que le film le montre avec très peu d'ambiguïté.


est extrêmement réussie et caractéristique de l'atmosphère "millénariste" cyber-catastrophiste de cette époque : un cyberpunk un peu gothique complètement crasseux et saisissant. Les décors à eux-seuls capturent quasiment toute la sensibilité du film en dehors de ses thèmes plus conceptuels.
Et cette esthétique respire dans la conception du film qui n'a pas les barrières des films actuels à mon sens moins inspirés et "coincés" par des règles premier degré. L'intuition et le symbolisme ont moins la côte, surtout dans les productions de ce type, au profit d'un rationalisme simpliste et je trouve cela dommage (fin de la parenthèse). En effet, le film déborde d'imagination et d'inventivité, des fameux "bullet time" caractéristiques mais aussi de toutes les bizarreries du film (fête SM chelou, les deux fantômes albinos, etc.) et le pire c'est que tout cet ensemble fonctionne parfaitement car paradoxalement toujours introduit et contextualisé par le film qui va même jusqu'à essayer de justifier les ficelles éculées des films d'action qui voient souvent des villes détruites par des héros "gentils" qui massacrent probablement des dizaines de passants anonymes lors de courses effrénées. Ici, on nous explique que les humains de la matrice font partie du système et donc qu'ils sont des ennemis au sens militaire. On pourra contester ou pas, ce n'est pas la question, mais force est de constater que pratiquement TOUT l'univers de Matrix présenté à l'écran est contextualisé, intégré et non pas juste balancé pour remplir le film comme la plupart des œuvres "cultes" plus populaires ; de même, les héros ne parlent pas pour rien, pratiquement aucun élément n'est ajouté s'il ne sert pas directement ou indirectement le propos du film ou ses objectifs. C'est une qualité très rare et d'ailleurs aussi peu fréquemment reconnue, beaucoup de personnes aimant voir qu'un film a un "background" même si celui-ci est du remplissage peu organisé dans le contexte de l'œuvre (du genre le héros orphelin même si on s'en branle ou des peuples présentés comme ceci ou cela vus 1 minutes dans le film et ne lui apportant rien).
Ainsi, paradoxalement, même si ces films sont verbeux, le verbe n'est pas superflu la plupart du temps même si l'on n'évite forcément pas certains poncifs de l'épopée qui favorisent tout de même l'intensité générale (genre la femme aimante qui attend son mari au port, etc.) ou une relation très peu passionnante entre Neo et Trinity (qui ne semblent pas du tout en alchimie d'ailleurs, ni sur le plan physique, ni sur le plan du jeu malgré le forcing dans les textes) sur un plan émotionnel (ce qui limite la force d'un choix très important), le seul vrai gros point raté de ces trois films.


Passons maintenant au versant plus conceptuel du film. Je vous prévins, je n'utiliserai pas le terme "philosophie" ici (sauf maintenant), détestant tout ce qui entoure cette pratique bien qu'appréciant la pratique en elle-même. Je ne pense d'ailleurs pas qu'il y ait vraiment de "réflexion" dans ce film mais plutôt une figuration de bien des réalités sur un éventail de thématiques extrêmement riches et intriquées à côté d'un discours engagé, pas au sens sociétal mais plutôt analytique.
Et c'est ce versant de la trilogie qui en fait finalement un chef d'œuvre absolu (n'ayons pas peur des mots !) au delà de tous les problèmes de forme, de ridicule de certaines situations, etc. Beaucoup de spectateurs refusent de se détacher de détails sans importances pour se laisser happer par le véritable fond d'une œuvre qui en est sa véritable matière vivante, se coupant de tout son intérêt (on l'a d'ailleurs vu avec Alexandre et des critiques se résumant à une attaque sur la teinture du héros et sur l'actrice choisie pour sa mère…(blasement)…).
A ce propos, et je sais ici que ce genre de remarque va vous faire dire que j'essaie de m'en sortir un peu facilement, mais Matrix développe tellement de thèmes qu'il est assez difficile de vraiment les résumer surtout que leur développement n'est pas parallèle mais au contraire vraiment connexe et sur plusieurs dimensions.
So je devais malgré tout tailler le sujet de ce film à la serpe, je dirais qu'essentiellement le film réfléchit à la condition humaine : de façon générale mais aussi contextuelle à son époque pré-an 2000 dans une optique existentialiste et réflexive. La contextualisation des enjeux est très importante car elle capture des conflits encore d'actualité, notamment le fameux désenchantement qui est en fait une forme de drame pour le psyché humain qui a BESOIN de petites illusions pour s'équilibrer. Mis en parallèle avec les machines, nouvelle race dominante de la planète, l'être humain est disséqué dans ses mécanismes qui le font avancer et qui lui permettent de survire mais aussi qui ont pu le mener à sa perte, le tout sans caricature MAIS sans intellectualisme abstrait et inaccessible (au contraire, le film est très accessible). La rencontre avec le Mérovingien sera l'apogée illustrative du thème des sensations et de l'aliénation à ses derniers déjà introduite dans le un avec un des protagonistes et dans de nombreux dialogues. Ces réflexions font d'ailleurs echo à des grands classiques de la pensée historique et de l'inconscient collectif des peurs primitives. Par exemple, si l'esprit tient, c'est qu'il est persuadé d'exister, d'avoir une prise sur le monde. Mais qu'est-ce qui fondamentalement nous le prouve ? Que les autres le constatent ? Mais pourraient-ils être eux aussi le fruit de mon imagination ? Toutes ces interrogations un peu enfantines sont pourtant un des mystères de notre existence et qui gravitent autour de la nécessite de la foi montrée dans le film.
Les personnages d'ailleurs ont - comme dans l'épopée figurative - un rôle à jouer. Morpheus représente par exemple la foi aveugle, cette foi qui dans sa dualité fait accomplir les plus grandes choses mais qui aveugle car la foi n'est que subjective. L'Architecte représente l'illusion du contrôle par la Raison, illusion balancée par l'Oracle, sorte de super-humain artificiel dans ses qualités les plus recherchées (lisez n'importe quel ouvrage de développement personnel harmonieux, l'Oracle en a toutes les qualités : écoute, carpe diem, etc.) illustrant la spiritualité plus réflexive de l'être humain qui va finalement devenir à la fin du film


le nouveau "chien" des machines au sens de complétude des races dans leur lien symbiotique de survie ; je vous laisse à ce propos voir la place du corbeau et ses alliances avec d'autres animaux dans la survie primitive


Neo quant à lui illustre le principe illusoire du surhomme ou du "sauveur" au sens mythologique ou religieux dans sa dualité. Le sauveur représente le point culminant de la foi et s'oppose conceptuellement à l'effort individuel et sociétal pour améliorer les conditions de vie, son environnement, l'équilibre, etc. En effet, l'attente du sauveur est l'attente d'une "magie" qui résoudrait tous les problèmes contrairement à une approche pragmatique de résolution des soucis et à une lucidité sur les évènements. L'évolution de Neo et de sa place dans le film est d'ailleurs une allégorie sublime du désenchantement au cours de l'Histoire en plus d'être intégré à un tableau qui réconcilie et articule les différentes approches de la vie. Il synthétise d'ailleurs en un compromis final entre le pragmatisme un peu obtue du commandeur et la foi inconditionnelle de Morpheus en un final exceptionnel et magnifique. D'une certaine manière, on a en quelques sortes dans Matrix un des meilleurs films de superhéros qui interroge ce statut dans la société et l'imaginaire collectif avec des contrastes saisissants et une mise en évidence de l'instrumentalisation des héros.


Le fait que ce surhomme soit en fait une clé USB anti-virus/reboot OS relève presque du génie


En sus de cette surcouche un peu réflexive, le film s'offre également une superbe métaphore informatique très bien documentée, à la fois vulgarisatrice mais pas simpliste et caricaturale, qui sert de modèle pour tout le film. Ainsi, le symbolisme plus spirituel s'adosse à une construction plus rationnelle qui donnera du grain à moudre au deuxième type de publics aimant se casser la tête : les amateurs de puzzles (les premiers étant plus "littéraires", sachant que l'on peut très bien aimer les deux comme moi). Sur ce point également, Matrix est un chef d'œuvre (décidément) de science fiction avec un univers cohérent, justifié, documenté et surtout n'évoluant pas en vase clos car directement en résonnance avec tout son édifice spirituel. Smith le virus informatique joue également son rôle dans ce discours engagé envers l'"équilibre" ou plus simplement une approche de la vie non binaire et obtue, lucide sur la nécessite de compromis et d'acceptation de nos limites (pensée plus orientale qu'occidentale d'ailleurs). Cette anomalie est purgée par la destruction du mythe qui marque la réconciliation de la Raison et de la Foi/de l'irrationnalité au sens général (amour, plaisir, etc.), mais aussi de la conquête du sens avec l’espoir de meilleurs lendemains ; en clair, plutôt que de prendre parti dans une opposition mortifère et artificielle, Matrix réconcilie et reconnecte deux époques et deux pensées au travers de son personnage lui même aux origines mystérieuses. Le film fourmille aussi de beaucoup de détails qui se découvrent au fur et à mesure des re-visionnages, donnant des indices sur le film et étayant ses pensées. En clair, les grands amateurs des détails de langue et de décors comme moi seront aux anges.


Enfin, et je vais aller vite car je suis fatigué (je reviendrai plus tard sur cette critique qui doit être sacrément bordélique et bourrée de fautes, ce qui arrive quand j'écris de façon compulsive pendant deux heures, voyez cela comme un brainstorming semi-construit :p), Matrix est aussi un excellent film d'action ultra intense, cool, faisant tout de suite penser à un très bon jeu vidéo auquel tout le monde aimerait jouer. Les affrontements, aidés par la forte inventivité du film, sont jouissifs, monumentaux et avec un juste équilibre entre l'humour, le grand n'importe quoi et le sérieux. La fameuse scène du hall d'entrée à elle seule montre cet équilibre : l'humour n'est pas forcé (la fin de la scène, le début avec le sac dans le détecteur de métaux), le grand n'importe quoi assumé (les mecs qui ne se touchent pas avec 10000 tirs de mitrailleuse) et le sérieux (pas d'ironie forcée notamment). Certains diront que ça a "vieilli" techniquement mais à part dans Fast and Furious (dans un autre style certes) et dans quelques autres films épars, je n'ai presque jamais vu de meilleures scènes d'action qui font penser aux mangas qui ont pour rare qualité d'être ultra inventifs et décomplexés dans l'action. On retrouvera d'ailleurs beaucoup de scènes de ce style dans le jeu vidéo, Matrix s'étant d'ailleurs aussi probablement inspiré de jeux d'arcade mythiques.


En résumé, la trilogie Matrix - qui constitue une seule et unique histoire donc à mon sens un film en trois parties - est une production monumentale et un miracle de l'industrie dans la mesure où les suites de films sont plus souvent des rajouts opportunistes et postérieurs qu'un véritable projet pensé de bout en bout. En ce sens, les réalisateurs ont été très malins et ont visé juste avec le premier Matrix qui leur a permis de sortir l'œuvre complète à mon plus grand bonheur et au plus grand désarroi d'un public plus superficiel. Ainsi, c'est probablement une des uniques fois où l'on a vu et où l'on verra une œuvre avec des thématiques "chiantes"/"de branlette" (pour reprendre le vocabulaire des détracteurs des films un peu plus profonds que du divertissement niaiseux) s'offrir une production sur trois épisodes avec des moyens colossaux. Le résultat en est un chef d'œuvre avec les moyens techniques pour réaliser son ambitieuse réflexion et cristallisation d'enjeux spirituels d'une époque attendant l'an 2000 avec appréhension et plus consciente de jamais de ce qu'elle a perdue et risque de perdre à côté dans une épopée existentialiste, revisitant de nombreux lieux communs de l'inconscient collectif avec une conclusion magistrale et éclairée d'une réconciliation des pensées, de la Raison et de la foi/de l'irrationnalité. Epopée sensible, phénoménale, construite sur des codes connus mais réactualisées en fonction des inquiétudes de l'époque et qui existent encore aujourd'hui en sus de ceux qui traversent l'humanité depuis la nuit des temps, Matrix est tout à la fois un film d'action qui corrige la plupart des productions du genre, un film de superhéros "intelligent" ultime et une métaphore filée sérieuse et détaillée. Ainsi, même si le film se noie parfois dans une caricature de sa réflexivité (les dialogues avec l'oracle qui se réfugient dans la facilité du "tu le sais déjà" blabla) et même si on pourra rétorquer que le film n'est pas non plus très "érudit" (tant mieux, ce qui touche la vie des gens tous les jours ce n'est pas une conceptualisation usinée mais les thèmes "simples" qui ont traversé les civilisations pour une très bonne raison :) ) et accessible au grand public, Matrix ne sacrifie jamais rien sur l'autel du consensuel et va jusqu'au bout de son idée sur un support qui ne lui était a priori pas adapté (difficile de produire une œuvre vidéographique qui puisse vraiment aller au fond des choses et offrir un résultats i complexe, transcendant et intriqué). Ainsi, d'une certaine façon, si la littérature a sa Recherche du temps perdu, le cinéma a son Matrix, les deux ayant comme points communs d'avoir traité un sujet de fond de l'existence du point de vue individuel et sociétal dans leurs médias et périodes respectives mais aussi d'avoir connecté les objets/les pensées communes (en inventant le neuf par la réunion de l'ancien) vu entre eux pour exprimer les liens inconscients que le penseur forme dans son esprit sans pouvoir les synthétiser dans leur forme fondamentale. En clair, Matrix est un chef d'œuvre absolu et une peinture monumentale qui, je l'espère, sera reconnue comme tel d'ici quelques années, si l'humanité ne s'enfonce pas encore davantage dans le culte de l'instantanéité, la polarisation et la bêtise.

Foulcher
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le 24 juin 2019

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