James Ivory prend la vérité homo

James Ivory adapte dans un classicisme gracieux le roman éponyme d’Edward Forster. Fort et sensible pour évoquer l’homosexualité dans l’Angleterre victorienne encore corsetée, le film vaut surtout pour son romanesque émouvant et ses interprétations solides.

Quelques années avant la Première Guerre mondiale, la découverte par un jeune bourgeois londonien, intelligent et sensible, Maurice, de ses affinités particulières avec un être de son sexe, Clive. Les tourments et les luttes qui en découlent dans une société victorienne et enfin la victoire de pouvoir assumer en toute honnêteté sa différence.

James Ivory est un cinéaste inégal dont on a peut-être jugé trop sévèrement certaines œuvres et dont on redécouvrira peut-être dans quelques années la très riche filmographie. Comme dans « Chaleur et Poussière », « Chambre avec vue » ou « Retour à Howards End », James Ivory raconte l’émancipation d’un personnage dans une société britannique vissée, à la fois inamovible et poussée à disparaître, pour aller vers ce que sa nature profonde lui incombe. La quête des origines dans « Chaleur et Poussière », le désir de quitter sa condition de domestique dans « Les Vestiges du jour » et donc dans « Maurice », l’homosexualité.

Comme toujours, James Ivory inscrit son film dans un classicisme peut-être d’une autre époque, mais jamais daté. Les décors sont très beaux, la photographie lumineuse. Les mouvements de caméras sont soyeux et élégants. De la musique classique enrobe l’intrigue. James Ivory s'inscit dans la lignée directe de ces cinéastes américains qui ont réalisé des fresques nostalgiques comme David Lean ou George Stevens. Cette esthétique distinguée accompagne très bien l’intrigue, l’époque et l’évolution du personnage. Actif dans les années 80-90, on voit très clairement l’influence qu’a eu le cinéaste sur les productions historiques anglaises plus contemporaines, que ce soit au cinéma (‘Orgeuil et Préjugés’) ou à la télévision (‘Downton Abbey’).

Le réalisateur assume pleinement le fait d’adapter au cinéma une œuvre littéraire et c’est peut-être ce qui fait que le romanesque se déploie autant. L’histoire se base sur un élément assez classique du cinéma romanesque : le désir personnel mis à mal, empêché par l’époque. Mais ‘Maurice’ est avant tout une très belle histoire d’amitié, contrariée à la fois par ce désir homosexuel et par l’ère du temps. Car si ce désir réciproque uni Maurice et Clive dans le secret, il finira par les éloigner car les deux hommes choisiront deux voies différentes. Clive fera le choix du conformisme et du mariage de convenance. Maurice fera, non sans difficultés, le choix de l’honnêteté avec soi-même au risque de la marginalisation.

James Ivory pointe efficacement mais toujours avec élégance l’hypocrisie de la société victorienne qui sait mais ne dit pas, qui condamne l’homosexualité frontalement lors de procès ou de façon plus détournée (et donc plus violente) par des regards silencieux désapprobateurs. Le regard médical de l’époque sur l’homosexualité est d’ailleurs assez terrible. D’autant plus que James Ivory nous montre une noblesse qui semble en voie d’extinction, métaphoriquement caractérisée par le ravissant manoir dont le toit qui fuit.

Ce qui est intéressant dans le film, c’est que l’homosexualité (vue comme une tare) semble faire fi des barrières sociales, très importante à l’époque en Angleterre. Maurice ne pourra s’épanouir tel qu’il est qu’avec un domestique qui ressent le même désir que lui plus qu'avec quelqu'un de son milieu qui n'osera pas sortir du chemin qui lui est dressé.

‘Maurice’ doit beaucoup, comme pour tous les films britanniques, à son casting impeccable. On y croise Hugh Grant dans l’un de ses premiers rôles au cinéma, parfait en aristocrate engoncé. Dans le rôle de Maurice, James Wilby montre remarquablement les tourments de son personnage.

Un mot sur la fin, bouleversante et toute en ambiguïté. Si vous ne souhaitez pas être spoilé, n’allez pas plus loin. Le dernier plan montre Clive à la fenêtre, après que Maurice lui a annoncé son choix d’assumer son homosexualité. Surgit alors une dernière fois l’image de Maurice tel qu’il l’a connu à l’université, soulignant peut-être qu’il ressent le gâchis d’une vie qui s’est soumise aux convenances. Regrette-t-il son manque de courage et de fidélité à lui-même ? A ce moment, sa femme le regarde. Que sait-elle de la vraie nature de son mari ?

Noel_Astoc
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le 1 nov. 2023

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