Métamorphose narcissique
J'aime beaucoup le cinéma de Todd Haynes, lorsqu'il s'attache à porter sa caméra au delà du mur des apparences pour disséquer un certain "American way of life", et traquer les malaises et...
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le 26 janv. 2024
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Depuis l'indépassable Carol, j'attends toujours les nouveaux films de Todd Haynes avec gourmandise. Même si Dark Waters, dont la cause est juste et le plaidoyer indispensable, m'a un peu ennuyée, je l'avoue. Cette fois, les critiques étaient mitigées et j'étais curieuse de démêler l'écheveau. D'autant que le face à face entre les deux actrices promettait d'être mémorable, et, de fait, c'est ce qui a emporté mon adhésion, avec l'exploration des marges morales, toujours plus nécessaire dans notre société aux avis si tranchés. Je me souviens de l'affaire qui a inspiré cette histoire, la condamnation était à l'époque franchement unanime. Il faut dire qu'il y avait détournement de mineur. Et que l'adulte impliquée était enseignante, qui plus est. C'était avant que les présidents de la République n'épousent leurs professeures de français. Dans un autre monde, en somme. Malgré tout, le combat pour la protection des mineurs a pris de l'ampleur, des prédateurs masculins sont apparus en pleine lumière en nombre, leurs victimes parlent, sont crues, et certains aspects de ce film m'ont rappelé des scènes troublantes de Icon of French Cinema, de Judith Godrèche. Notamment dans la façon dont les enfants, devenus adultes, regardent les événements qui les ont affectés plus jeunes, auxquels ils ont parfois consenti activement, certes, mais qui peut décemment se revendiquer encore proche de l'enfant de 13 ou 14 ans qu'il était ? Même les lycéens de terminale regardent les secondes avec sidération. Il se passe dans une tête en maturation tout un tas de choses mystérieuses et profondes qui font qu'on peut être un certain nombre de personnes différentes en une seule vie. Tout ça pour dire qu'ici, c'est le personnage du mari, Joe, ancien ado détourné par une nana passablement allumée (mais on ne s'en rend compte que petit à petit, et c'est une force du film), qui a retenu toute mon attention, parce qu'on entre dans sa vie au moment de sa deuxième révolution copernicienne : quand, enfin, parce que ses propres enfants s'apprêtent à quitter la maison et qu'il va se retrouver seul avec sa Gracie, il est confronté à l'angoisse liée à la personnalité complexe de celle-ci et à sa propre immaturité. Les cartes sont alors complètement rebattues, et, enfin, un voile se déchire. Le personnage de Nathalie Portman n'y est pas pour rien, évidemment, et c'est le deuxième atout imparable de cette histoire : le mimétisme qu'elle cultive vis-à-vis de son modèle pour l'incarner à l'écran, d'abord maladroitement, donne l'occasion à l'actrice de préparer le terrain en souterrain pour la scène qui devrait lui valoir un Oscar, pour tout ce qu'elle dit du travail d'acteur : un monologue face caméra dans lequel elle semble possédée par Julianne Moore. Leurs deux images se superposent sans qu'aucune ne prenne le pas sur l'autre, alors qu'une seule est à l'écran ! Un tour de force. Un film qui parle du cinéma, donc, du consentement, aussi, de l'Amérique, forcément, et de l'évolution des mentalités aussi, à coups de métaphores, de récits dans le récit et de mises en abyme franchement habiles. Bref, une œuvre qui donne du grain à moudre autant qu'elle provoque l'admiration et l'inconfort. Bref encore, du grand cinéma !
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Créée
le 18 mars 2024
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