Danse Avec Le Loup
Quand on pense à la Hammer on pense forcément aux grandes figures mythique de l'horreur et de l'épouvante comme Dracula, Frankenstein ou encore La momie. Pourtant le studio britannique a produit...
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le 29 mai 2023
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En 1959, la Hammer est désormais un acteur incontournable de la production cinématographique britannique. C’est un des rares exemples où la société de production est devenu une marque, un sceau apposé sur les affiches et la raison première poussant les spectateurs à se déplacer au cinéma. On ne vient pas voir un film de Terence Fisher, Val Guest ou Roy Ward Baker, on vient voir un film de la Hammer.
Le studio enchaîne en effet depuis le milieu des années 1950 les grands succès populaires, touchant à la science-fiction avec les deux premiers films de la série des Quatermass, et remettant notamment au goût du jour les grandes figures du fantastique précédemment exploitées par les studios Universal – Dracula, Frankenstein, la momie -, qu’ils vont essorer jusqu’à plus soif comme leurs camarades américains. C’est les débuts de la consécration pour Peter Cushing et Christopher Lee, dont la carrière va enfin décoller, et nombre de réalisateurs et techniciens qui vont façonner l’image du studio telle qu’elle résonne encore aujourd’hui dans l’inconscient collectif : horreur gothique, fabrique à monstres… Mais depuis sa création en 1934, le studio touche un peu à tous les genres. En bons opportunistes, ses fondateurs James Carreras et Anthony Hinds flairent et suivent les tendances, et avant de jeter l’ancre sur le fantastique la Hammer a une très forte appétence pour les intrigues criminelles : mystère et whodunit dans les années 1940, film noir durant la première moitié des années 1950.
Mais quand Anthony Hinds lance la production de Méfiez-vous des inconnus en 1959, le film ne s’inscrit ni dans ces différentes mouvances, ni dans la filiation d’autres films, contrairement à la vague de thrillers psychologiques qui démarrera dès l’année suivante, sous forte influence des Diaboliques et de Psychose, largement chapeautée par le scénariste maison Jimmy Sangster. Il s’agit d’une adaptation de la pièce de théâtre The Pony Cart (1954) de Roger Garis, touchant au sujet difficile de la pédophilie et plus ou moins basée sur un incident vécu par la propre fille de l’auteur, qui souhaitait ainsi dénoncer un vrai problème de société.
En cela je rapprocherais Méfiez-vous des inconnus de The Intruder (1962), où Roger Corman délaissait le temps d’un film la pure série B qui avait fait sa popularité pour traiter avec le plus grand sérieux quelque chose qui lui tenait à coeur, soit le racisme et la ségrégation raciale. Dans les deux cas, en s’écartant de leur formule la Hammer et Corman se sont heurtés à un public récalcitrant.
Il y aura en effet un grand malentendu entre l’image de la Hammer, alors synonyme de cinéma d’horreur vulgaire et clinquant, flattant les bas instincts de l’Homme, et ce que le film a vraiment à proposer. Des sourcils vont d’ailleurs se lever dès la lecture du scénario par la très sévère BBFC, la commission de classification des films, au sujet de dialogues évoquant tentative de viol et perversion sexuelle, avant qu’Anthony Hinds rassure tout ce beau monde : le sujet sera traité aussi délicatement que possible. Mais rien n’y fait, la Hammer a beau se tourner vers une monstruosité plus humaine, le film écope d’une classification X, soit une interdiction aux moins de 16 ans. Le Cauchemar de Dracula et Méfiez-vous des inconnus, même combat.
Avec une efficacité narrative héritée de l’expérience du studio dans la série B, le film ne s’embarrasse pas de fioritures et, dans la grande tradition du cinéma classique, annonce sa note d’intention dès ses premières images et notamment son générique en plan fixe : deux jeunes filles viennent de quitter une balançoire – et avec elle leur innocence - et se rendent chez un vieil homme qui a la réputation d’offrir des bonbons ; le siège continue de se balancer tandis que la grande demeure transperce la forêt tel un monolithe menaçant en arrière-plan.
Le métrage s’articule ensuite autour de trois séquences avec la petite Jean, chacune semant l’effroi pour des raisons différentes.
Un peu après le générique, Jean se met à parler naïvement de son activité du jour à ses parents, chez ce vieil homme inoffensif. Puis la parole se délie naturellement jusqu’à ce sa mère et son père comprennent la situation, en nous annonçant que des enfants de dix ans ont dansé nus pour un adulte. Un tabou est brisé après dix minutes, jamais un film à cette époque n’avait abordé la pédophilie aussi frontalement. La séquence permet également de constater l’écart générationnel de mentalité entre la mère qui souhaite courir directement à la police et la grand-mère souhaitant plus préférable de mettre l’affaire sous le tapis.
A noter que la petite Janina Faye, bluffante dans le film, s’était vue refuser quelques mois auparavant le rôle de Jean Carter dans une nouvelle version de la pièce dont est adapté le film, car jugée trop jeune du haut de ses dix ans pour une telle thématique. Elle sera remplacée par une adolescente de cinq ans son aînée.
Arrive la parodie de procès en milieu de film ; à ce moment-là, Jean a pleinement compris que ce qui lui est arrivé n’est pas normal. L’agresseur presque sénile, avec ses faux airs de Donald Pleasence et qui s’avère être une sorte de patriarche pour la ville de Jamestown, n’aura pas besoin de prononcer un seul mot, et restera d’ailleurs mutique jusqu’à la fin du film. Justice est déjà faite, c’est la jeune victime qui doit se justifier, atrocement malmenée par l’avocat de la défense. Comme il se doit, l’homme est acquitté.
Evidemment ce qui frappe avec notre œil de spectateur du XXIe siècle, et rend la séquence encore plus frustrante, c’est ce tribunal constitué uniquement d’hommes. Au Canada, de rares régions ont progressivement autorisé les femmes à faire partie d’un jury dès les années 1920, puis ensuite dans les années 1950 et 1960. Mais tout était fait pour leur mettre des bâtons dans les roues et il a fallut attendre 1972 pour que cela soit véritablement officialisé et étendu à tout le territoire.
Dans la dernière ligne droite, les enfants subissent les conséquences des mauvais choix des adultes. Le prédateur se transforme en ogre de conte, pourchassant inlassablement les deux fillettes dans les bois, jusqu’à la scène de la barque et le vieil Olderberry en tirant la corde depuis la jetée. La seule scène du film qui essaye sciemment de provoquer un choc.
Le vieillard sera arrêté, la petite Jean s’en est sortie mais son amie n’a pas eu cette chance. Difficile de parler de happy end quand on est face à une société qui n’a pas su protéger ses enfants.
A aucun moment n’est remis en question le témoignage de Jean, il n’est jamais question d’ambiguïté ni de doute mais de lutte de pouvoir,. Car Méfiez-vous des inconnus est avant tout un récit de lâcheté ordinaire, celui d’une communauté préférant fermer les yeux sur les vices des puissants pour pouvoir conserver ses privilèges. La famille Olderberry a aidé à faire de la ville ce qu’elle est aujourd’hui et contrôle plus ou moins les différentes institutions ; aller contre elle c’est mordre la main qui vous a nourri. Et les étrangers à cette communauté que sont les Carter ne peuvent se heurter qu’à un mur.
Bien que l’action soit située au Canada, le choix de nommer la ville Jamestown n’est certainement pas anodin. C’est tout de même le patronyme de la première colonie britannique permanente du continent américain, après le débarquement de John Smith et plus d’une centaine de personne en 1607. De là à dire que les auteurs souhaitent faire un parallèle entre la famille Olderberry, bâtisseurs et tenanciers tout puissants de la ville, et l’origine de tous les mythes fondateurs du continent nord-américain, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement.
Ironiquement, fin 1959, Michael Carreras, le fils de James Carreras et principal exécutif de la Hammer, déclare à l’occasion d’un entretien pour la revue Films and Filming : « Nous détestons les films à message. Nous faisons du divertissement. » Et malheureusement, la réception de Méfiez-vous des inconnus ne pourra que lui donner raison. Cette production atypique pour eux paye l’audace de son sujet controversé : le public ne veut pas être confronté à ses démons, les amateurs de frisson sanguinolent n’ont pas ce qu’ils veulent et une grande partie de la critique britannique s’auto-persuade que le contenu sensationnaliste est bien présent malgré tout, accusant la Hammer de capitaliser sur un thème sordide. Ce n’est guère mieux aux Etats-Unis, où malgré un deal avec la Columbia le film est finalement distribué de façon presque confidentielle et sur une très courte période, et ce malgré le soutien de la Ligue Nationale de la Décence et l’insistance du Conseil National des Femmes que « tous parents devraient voir ce film. »
Bref, le studio avait été condamné avant même la sortie et, bien que le sujet restait tabou à l’époque, sa réception aurait peut-être été toute autre si le logo d’une autre société avait été au bas de l’affiche. Un échec qui sonne définitivement le glas pour eux des productions plus sérieuses et dramatiques. Mais il en faut plus pour abattre les équipes de la Hammer - la télévision s’en chargera dans les années à venir –, donc retour au grand divertissement vanté par Michael Carreras et direction le filon des thrillers psychologiques évoqué un peu plus haut.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Hammer Film Productions : la totale, Polar à l'anglaise et Cinématographiquement vôtre 2025 (vus et revus)
Créée
le 1 sept. 2025
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le 29 mai 2023
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Film sympa. C'est écrit comme un film informatif mettant en garde sur les méfaits de telle ou telle drogue, c'est-à-dire qu'il y a une forme de premier degré même à de la naïveté qui fait assez...
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le 16 nov. 2019
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