Alors c’est donc ça, Melancholia, le "grand" film tant attendu et tant désiré qui promettait beaucoup, mais n’apporte rien sinon un ennui, un rejet difficilement mesurables devant tant d’accablement ? Perdu quelque part entre Bergman, Tarkovski et une bonne couche de romantisme allemand (prends garde, gueux, Wagner, Tristan et Iseult sont là !), Lars von Trier louvoie du drame psychologique à deux têtes (et à deux planètes) à une nature démiurgique révélant le désastre du genre humain. Et il sait s’y prendre, le bougre, pour nous amener dans les tréfonds de l’emmerdement puis de l’agacement. C’est bien simple : la première heure est in-ter-mi-na-ble, quand la deuxième heure est… in-ter-mi-na-ble.

Quelques scènes et plans magnifiques, des éclats, un prologue et une fin sublimes, viennent parfois raviver notre intérêt, en démission volontaire. On en vient même à crier pitié et à se tordre sur son siège : quand ce truc va-t-il se terminer ? Quand allons-nous passer aux choses sérieuses ? Quand vais-je pouvoir rentrer chez moi pour me mater 2012 et Prédictions ? Impossible de s'imprégner de l'ambiance (plombée par une photographie proprement hideuse, la palme quand même à cette première heure laborieuse entièrement filmée avec un filtre orange ramené des Enfers ou du caniveau) et de s'attacher aux personnages archétypaux (l’époux béat, le méchant patron, les parents à la masse, la sœur coincée…).

Difficile aussi de rentrer dans le film et jusque dans ses noires entrailles, de s'intéresser à ses enjeux et aux psychologies à l'œuvre, d’une densité rabougrie parce que les situations et les dialogues ne suffisent jamais à provoquer le souffle, la grâce ou que sais-je encore. Il aurait presque fallu un trop d’emphase, de pompier, à l’image du prologue et du final (bouleversant), pour filmer au mieux cette tragédie cosmique entremêlant l’intime à l’infiniment grand, la dépression à la destruction, le céleste au terrestre. En l’état, Melancholia ressemble à un reportage de Strip-Tease scrutant l’apocalypse au sein d’une famille bourgeoise de gros cons lors d’un mariage raté avec deux sœurs qui se détestent parfois, mais qui s’aiment surtout (c’est beau).

Encore sous influence dogmatique, von Trier semble avoir du mal à se renouveler et à se réinventer, prisonnier d'une image crasseuse, d'une mise en scène à l'épaule et de plans tremblés qui ne siéent pas vraiment au gigantisme du sujet et à certaines visions, dantesques ou même plus simples. L’effet de proximité voulu par von Trier (apocalypsis in situ) tombe à plat et reste, un comble, très terre à terre. Alors qu’il a été capable de réaliser un film de 3 heures sans décors et d’une puissance considérable (Dogville), il bute ici contre les oripeaux de son propre cinéma qui finit par s’autodétruire et ne plus rien proposer.

Melancholia bénéficie pourtant d’un scénario passionnant : comment l’approche d’une planète mystérieuse vers la Terre révèle les failles de tous, prêts à disparaître sans ménagement. Sa lecture et son décryptage vont même plus loin : est-ce un rêve (comme pouvait l’être Antichrist) de Justine face à ses échecs, à son mal-être (symbolisé dans cette énorme boule qu’est Melancholia), au rejet des autres qu'elle dit mauvais, imaginant la fin du monde pour mieux s'en soustraire définitivement, tel un suicide pensé comme un Armageddon rageur ? Las ! Von Trier gâche tout en noyant son propos (et ses intentions) sous la tristesse et le désespoir d’une sorte d’opéra du pauvre miné par une vacuité sans nom (de rythme et de réalisation). Von Trier l'a d'ailleurs lui-même avoué en préambule du dossier de presse avec, sans doute, la dérision qu’on lui connaît : "Ça a l’air merdique […] J’ai travaillé pendant deux ans sur ce film […] mais je me suis peut-être fait des illusions […] Qu’ai-je fait ?". Une bouse, mon chéri, ça s’appelle une bouse.
mymp
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le 13 nov. 2012

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