Voilà un long métrage qui parvient à mettre mal à l'aise aussi bien sur sa forme que sur son fond - mais il y a des inconforts cinématographiques plus pertinents que d'autres, et celui créé par Men n'en fait malheureusement pas partie.


Bourré de qualités techniques, le film séduit d'abord par sa photographie, ses décors, sa musique, son casting, son atmosphère de jolie campagne anglaise vite parasitée par des éléments inquiétants. On prend ses marques dans le carcan familier du thriller psychologique ancré autour d'un personnage traumatisé qui s'installe dans une grande maison vide que l'on anticipe bientôt sujette aux assauts de quelque présence malveillante. Bref, on pense savoir où l'on va, et l'on accepte de s'engager sur ce chemin supposément balisé et plutôt agréable - pas passionnant, mais suffisamment maîtrisé et ponctué de curiosités pour qu'un intérêt raisonnable s'installe.


Puis un glissement s'opère et l'on bascule, progressivement mais ostensiblement, vers une épouvante un peu folk qui semble convoquer celle d'un Ari Aster (Midsommar, Hérédité), en même temps que la rapport (ici abscons) à la nature et la présence oppressante d'une population mystérieuse encerclant agressivement la maison isolée rappellent certains Shyamalan (en l'occurrence Phénomènes et Signes).


Jusqu'au final horrifique, qui pour le coup n'a pas son pareil et dont la monstruosité gore, interminable et hypnotique malgré son aspect visuellement répulsif, achève de placer le film sous l'influence picturale de Hieronymus Bosch.


Mais alors que le point d'orgue de l'outrage se voudrait venir de la proposition visuelle choc survenant dans les dernières minutes du film, le malaise qu'il suscite nait bien plus tôt, à un point situé tellement en amont de l'épilogue horrifique que l'on finit par en revenir au titre : Men. Littéralement : les hommes.


Placé sous l'enseigne d'un terme générique qui ne laisse planer aucune ambiguïté quant à la nature profonde de son sujet (contrairement à ses nombreux aspects déroutants, qui laisseront à beaucoup la sensation trompeuse d'une œuvre énigmatique multi-couches et aux sens multiples), le nouveau long métrage d'Alex Garland ne tarde pas tant que ça à révéler son discours profondément misandre. Et le vernis du fantastique inquiétant et mystérieux a vite fait d'être explosé par des sabots gros comme ça, à commencer par le dispositif troublant (et pas toujours heureux visuellement) consistant à faire jouer la quasi entièreté des personnages masculins par le même acteur : puisque les hommes sont tous des pervers narcissiques, des prédateurs et des agresseurs en puissance, alors ils auront tous le même visage. Un parti pris aussi radical que clair dans ses intentions pas finaudes.


Cette thèse, très contemporaine en cette ère post #MeToo, où pas un jour ne passe sans qu'un nouveau connard (politique, acteur, producteur, grand patron ou simple quidam) ne fasse les gros titres dans une énième affaire sordide d'agression ou de féminicide, serait percutante si elle était un minimum nuancée, s'il y avait au moins un personnage masculin pour équilibrer la démonstration, et si celle-ci n'était pas aussi violente dans la frontalité premier degré de la charge.


Au lieu de cela, sa grossièreté finit par être d'autant plus gênante qu'elle trouve elle aussi son climax avec l'éprouvante séquence gore finale et le dialogue minimaliste mais hallucinant (de bêtise, au point où on en est) qui la conclue. Car à cet instant, la misandrie de surface révèle sa crasse misogynie souterraine : la femme est celle qui commet le péché originel (littéralement : on lui reproche d'avoir mangé la pomme de l'arbre), et son refus d'aimer les hommes comme ils le demandent, son incapacité à leur pardonner leurs erreurs (leur dépendance affective insupportable, leur immaturité toxique, leur violence intolérable) est la cause même de leur monstruosité, qui s'engendrera ad nauseam, d'homme en homme, tant que la femme sera femme, coupable par son genre, dans sa posture froide d'indifférence face à leur souffrance de bourreau au cœur tendre.


Beurk. Et rebeurk.

AlexandreAgnes
4
Écrit par

Créée

le 9 juin 2022

Modifiée

le 9 juin 2022

Critique lue 122 fois

4 j'aime

2 commentaires

Alex

Écrit par

Critique lue 122 fois

4
2

D'autres avis sur Men

Men
Theloma
6

Women

(GROS SPOILERS !)L'autre soir, j'ai clairement besoin de me changer les idées et dans ces cas-là rien de tel qu'un bon ciné. Tant pis pour mon vieux pote Alain avec qui j'avais prévu de sortir boire...

le 10 juin 2022

60 j'aime

8

Men
lullabymeyourstory
8

Analyse narrative et symbolique de Men, d'Alex Garland

[SPOILERS] ceci est une approche analytique du film et contiendra de ce fait beaucoup d'éléments d'intrigues et narratifs de celui-ci. Le deuil traversé dans une horreur folklorique moderne1-Entre...

le 10 juin 2022

56 j'aime

8

Men
Sergent_Pepper
4

Empty for the devil

Men est un film riche de promesses : qui connait le cinéma de Garland (Ex Machina et Annihilation) sait que le bonhomme a du talent à revendre, et son incursion dans le genre horrifique peut pousser...

le 8 juin 2022

48 j'aime

9

Du même critique

Au revoir là-haut
AlexandreAgnes
9

On dit décidément MONSIEUR Dupontel !

La Rochelle, 26 juin. Jour de mon anniversaire et de l'avant-première de Au revoir là-haut en présence d'Albert Dupontel. Lorsqu'il entre dans la salle à la fin de la projection, le public...

Par

le 27 juin 2017

53 j'aime

4

Mektoub, My Love : Canto uno
AlexandreAgnes
4

Si "le travelling est affaire de morale", ici le panoramique vertical est affaire de vice

Je n'accorde habituellement que très peu de crédit au vieux débat clivant qui oppose bêtement cinéma populaire et cinéma d'auteur (comme si les deux étaient deux genres définitivement distincts et...

Par

le 27 mars 2018

48 j'aime

19

Arès
AlexandreAgnes
6

Ne pas jeter bébé avec l'eau du bain

Voilà un long métrage qui, en apparence, accumule les défauts : une erreur monumentale dans le choix de la date dès le carton d'ouverture (l'action se situe dans un Paris post-apocalyptique...

Par

le 24 nov. 2016

43 j'aime