L'Homme ce fardeau indispensable au drama de la Femme éternellement entravée

A24 garanti la bonne tenue technique et esthétique, puis secondairement une tendance à la subversion (Midsommar, Everything everywhere). Sur ces deux terrains avec Men nous sommes gâtés ! Par contre la passion de désintégration d'Alex Garland [révélé avec Ex Machina] commence à sentir trop fort et lui a fait négliger la phase de maturation et d'écriture. Il en résulte un film aux décors charmants et au scénario évanescent, une de ces séances faisant illusion car elles repoussent constamment leurs révélations – jusqu'à nous avouer qu'il n'y aura rien de plus au programme, mais en tirant sa révérence de façon explosive. Cette séquence finale d'engendrement digne de Society (ou du Festin Nu) est une grande attraction, où on se dit, quand même, après Human Centipede II, Kuzo et les Troma, si en esprit on se sent pressé de dégueuler, en pratique on enchaîne ses bretzel en remerciant le film de nous offrir du gratiné ; car on est aussi là pour ça. C'est dommage que le film ne se soit davantage vautré dans ce genre de démonstration car alors il récolterait des réactions plus tranchées et moins axées sur son discours (débile depuis ma fenêtre mais peu importe) dont l'expression est lamentable, peut-être car elle pue l'opportunisme et la morgue dépressive au service d'un fondamentalisme.


Je n'attends pas d'un film 'à convictions' un contenu intellectuellement affûté ou profond, mais des intuitions fortes, des sommes de vérités en un éclair. Ici c'est trop partial et planqué pour atteindre ce niveau. Car le successeur d'Annihilation ne sait et veut quasiment rien dire sur les Hommes. C'est un film sur l'ennui que causent les Hommes (à cette Femme). L'ennui plus large, c'est que tout le passé des individus et de leurs interactions est évacué, sauf la conclusion de cette liaison sordide. Un compagnon a-priori toxique par tous les bouts a tiré vers le fond cette pauvre contrôleuse de gestion post-moderne et impitoyable (oui l'existence du Paranoïa de Soderbergh rend ce film obsolète et gênant de prétention) ; puis un jour, l'homme soja bipolaire a frappé ! Et permis à sa victime d'oser se libérer... cadeau saboté par sa mort violente après le rejet. La volonté du film de ne laisser aucune chance à 'l'Homme' est assénée dès le premier flash-back, de même que l'indifférence à toute congruence. Car une inversion comique des rôles n'aurait pas donné un autre résultat – il manque l'envie de faire marrer à partir du matériau. Ce tortionnaire émotionnel adepte du chantage au suicide et incapable de rester rationnel et s'arracher à soi l'espace de cinq secondes a tout d'une cause perdue féminine ; mais tout en étant une caricature de diva tragique, cet ex doit aussi être le faux compagnon idéal et le bourreau macho. Le registre de la fantaisie permet d'assumer ce grand écart sans gêne.


Ce décalage absurde serait sans incidence si le film n'était pas dans son époque et développait un particularisme ; or il donne dans l'essentialisme (tout en haine glaciale) avec son éternel masculin maléfique ; il porte tous les maux même ceux qui devraient s'annuler, car il est multiple pour atteindre son dessein – tourmenter la Femme. Sa violence naturellement est l'arme du faible – du vrai, le persécuteur souhaitant faire passer sa prétendue victime pour inepte et inférieure alors qu'elle est forte sans la coalition des Hommes. Sans complot, comment les Hommes pourraient-ils trouver leur place ? Mais la Femme est une délivrance mentale pour ces gens-là qui n'ont que l'adoration d'eux-mêmes, la passion de corruption et le sabotage de l'autre sexe comme préoccupation ! D'ailleurs les Hommes – pardon l'Homme – quand ils échouent à exercer leur emprise, même en prenant le masque d'un autre (ce citadin issu de la diversité ne trompe personne ; c'est un simple déguisement de l'éternel oppresseur à face blanche et s'il l'a enfilé avec difficulté, gageons qu'il y ait trouvé du plaisir !) se vengent en plombant le moral de la Femme, gâchant ses tentatives de reconnexions à Gaiia oh notre sainte mère que son jus soit béni, bref en reprochant à la Femme sa force et son autonomie naturelle (amis de l'inversion et du déni rageux vous êtes à la bonne place !). Ce qui se traduit par de la culpabilité chez une Femme donc un être sensible doté d'une grande conscience – cette blague n'est pas vécue comme telle par les chouineurs vernis à l'ego enflé, merci de respecter religieusement leur douleur, leur sentiment de persécution et surtout de payer la facture quand ils auront accomplis leur légitime violence.


Ainsi cette culpabilité même est un motif de victimisation ; voilà la femme affranchie, autonome, en fait égale à ces mégères dont la passion est de se plaindre, fusionnée avec la féministe terminale qui n'a, réellement, pas besoin des Hommes. Bien sûr il y a cette atmosphère anxiogène efficace (quoique plombée par la langueur excessive et l'incapacité à étoffer le dossier, à l'exception du passage à l'église) et ce goût de l'insolite graphique (l'exhibitionniste, la métamorphose du ciel) mais nous sommes avant tout devant un trip lesbien déjà post-matriarcat – puisque l'Homme n'a plus aucune contribution à apporter, même périphérique, sauf dans les musées peut-être et les histoires effrayantes pour les enfants du futur.


Il y a bien un moment qui n'est ni dans l'expectative de principe ni dans cette exclusivité ; un effort de projection pas immédiatement au service de l'auto-défense, ou d'intérêt pour l'objet 'Homme' : le proprio (ce chevalier blanc provincial donc benêt) jugé par son père insuffisant pour l'armée. Voilà typiquement la nuance condescendante accordée au camp adverse pour arrondir le discours en lui tendant une planche de salut mortelle : comprenez, le masculin toxique, les Hommes aussi en sont victimes ! Simplement ils le portent en eux (littéralement) – eux qui voudraient se substituer à la mère créatrice (littéralement, avec leur fente sacrée originelle, comme nous la déballe si gracieusement le cousin feuillu de l'ancêtre du druide dans Astérix contre César). Aussi, si votre groupuscule d'hypnose – pardon secte – pardon religion est jalouse, évitez de vous compromettre en voyant Men ! Si vous êtes prêts à vous contenter d'hommes dans toute leur ignominie, sans haine ni furie, il y a Carnal Knowledge avec Nicholson.


https://zogarok.wordpress.com/2022/11/04/men/

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le 4 nov. 2022

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Zogarok

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