--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-troisième épisode de la septième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici. Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là. Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Alors que la fin du voyage approche, je dois admettre le fait que nous n'avons pas vu de sirènes. Personne n'était dupe, si j'entreprenais ce voyage maritime, exactement en même temps que le mois-monstre dédié aux sirènes, c'était évidemment dans l'espoir d'aller à leur rencontre. J'avais même expressément exigé un itinéraire par le nord, réputé plus dangereux, me souvenant que les sirènes étaient natives des mythologies scandinaves. Jusqu'à présent, les mois-monstre ont souvent été des recherches, souvent fructueuse. Je pensais être sous le joug d'une bénédiction qui me permettrait de rencontrer toute créature à laquelle je puisse rêver, si tant est que je fasse l'effort de m'y intéresser cinématographiquement, si tant est que ce soit Halloween. Mais Halloween est passé désormais, la Toussaint également, je m'y connaît bien mieux en sirènes qu'au début de l'automne, ainsi que tout l'équipage qui aura partagé ce voyage avec moi, et pourtant, aucune sirène n'est venue nager aux flancs du bateau. Peut-être simplement qu'elles n'existent pas. Peut-être même que leurs légendes auraient été mineures si elles n'avaient pas été outrageusement fusionnées (les sirènes grecques avec les sirènes scandinaves), et si elles n'avaient pas été poétisées par Hans Christian Andersen, alors qu'il cherchait simplement à exorciser un chagrin d'amour. Peut-être réellement les marins ont-ils pris des phoques pour des femmes. Il est certain que la sirène a pris bien des formes tout au long du mois, et que si il y a une instruction que l'on puisse retenir, c'est que personne n'est d'accord pour définir clairement ce qu'est une sirène.
D'ailleurs, ce n'est pas le film de ce soir qui va dire le contraire, et si ce n'avait été son titre, je l'aurai probablement disqualifié après visionnage. Et même en prenant en compte ce titre aguicheur et un peu bêbête, soyons honnêtes un instant : ce n'est pas une sirène, c'est un fantôme votre bestiole les gars. Je n'appelle pas sirène, et je crois bien que personne au monde n'appelle sirène une créature qui peut se téléporter, qui peut se rendre intangible, qui est métamorphe, qui est morte et qui cherche à se venger, qui hante les humains, qui est sensible à l'exorcisation et qui a des jambes. En général, on appelle plutôt ça un fantôme, vraiment. Et ce n'est pas parce que sa tombe est au fond d'un lac que ça change fondamentalement les choses.
Au-delà de ça, mon avis mitigé sur le film est compensé par une esthétique léchée franchement satisfaisante, surtout après la daube de la veille. Certes il y a encore un peu de fumée, mais celle-ci se cantonne aux abords du lac, je ne peux pas leur en vouloir outre mesure d'avoir voulu rendre la brume lacustre plus cinématographiquement enregistrable. Du reste, c'est un sans-faute, cette ambiance sombre sans être illisible, ce cadre éthéré sans être ennuyant, ces couleurs profondes mais ponctuelles. Dommage que le reste du film ne parvienne pas au même degré de subtilité. Moi si on m'avait demandé de donner un titre au film, je ne l'aurai certainement pas appelé « sirène », je l'aurai appelé « 100 mètres nage libre, le film d'horreur ». Car son défaut majeur, ce qui explique cette note si méchamment basse, c'est sa manière de vouloir rendre tout et n'importe quoi dramatique et effrayant. Et surtout n'importe quoi. Il aurait fallu se détendre, car la matière horrifique est bien là. Peu inspirée, certes, et déjà vu mille fois au cinéma, mais bien présente et efficace. Si le film s'était contenté de vouloir faire peur avec ce qui fait vraiment peur, il aurait amplement mieux rempli son contrat. Car à vouloir faire de l'épouvante avec tout le reste, le film en devient risible. « Bouh ! Chéri qu'est ce qu'on mange ? », et « bouh ! Gros en fait j'étais derrière toi lol », ça discrédite complètement le film, et le spectateur qui était pourtant venu avec toute la bonne volonté pour avoir peur, se demande si on le prendrait pas un peu pour un con, passe sur la défensive, et finalement se blinde contre la peur plus légitime que la suite du film aurait pu apporter. C'est dommage, car en parallèle de ça, le film a plein de bonnes idées pour instaurer un climat doucement anxiogène, à commencer avec son obsession pour l'eau : chaque scène impliquant de l'eau (la douce, la vaisselle, la tasse de thé, le spray pour les cheveux, etc.) appui à coup de gros plans et de grondement sourd la dangerosité de cet élément. Étant donné que le personnage principal a manqué de se noyer lors des toutes premières images du film, et que la scène d'introduction présentait le lac comme un lieu hanté et mortellement dangereux, cette insistance sur l'élément aquatique est plutôt habilement trouvé et permet d'éveiller une peur sourde et irrationnelle. Bon, on va passer très vite sur le fait que malgré que le film soit sorti en 2018, il ressemble à un film des années 2000 tant sa vision du couple est passéiste et son personnage féminin a le même look que Lorie (c'est quoi ce piercing au nombril et ce baggy en jean troué là?), pour en arriver au second gros problème du film : la façon de vaincre la créature. En lui coupant les cheveux. Sérieux ?! Je me demande bien à quel moment quelqu'un s'est dit que c'était une conclusion parfaite pour un film d'horreur. Certes le ridicule de la chose est accentué par le fait qu'on a cessé d'avoir peur il y a plus d'une heure, et qu'on regarde le film avec un pas de recul qui nous permet de repérer instantanément le problème, mais tout de même. Quel dommage d'avoir gâché une image si élégante par un scénario aussi grossier.