S'attaquer à une libre adaptation de l'ouvrage d'Ovide mériterai, avant même d'en voir le résultat, tous les encouragements nécessaires à la réalisation du projet (qui plus est avec un relativement bon cinéaste français aux commandes). Christophe Honoré devait pour ceci faire face à deux difficultés majeures : une réalisation à effets spéciaux d'un film fantastique dans un premier temps, de la matière utile (et à fort potentiel cinématographique) à filmer dans un deuxième (compte tenu de la longueur du texte, il était impensable de tout condenser en un seul film).

Choisissant de centrer son récit autour d'Europe - jeune lycéenne dont les rencontres avec les différentes divinités lui apparaîtrons comme un voyage initiatique - Honoré parvient bel et bien à mettre en images de fabuleux et inoubliables moments présents dans le texte original. C'est en se limitant à cette approche audacieuse casse-gueule que Métamorphoses tire de ses personnages une essence purement mythologique. Même si le cadre spatial du film demeure contemporain, nous ne sommes jamais face à une incrustation explicite et lourdement métaphorique de toutes ces créatures les pieds sur Terre. Un monde singulier est ainsi créé, monde merveilleux et magnifique dans sa communion parfaite avec la nature. La transformation de Io en génisse ne s'opère ainsi que de la plus simple des façons, passant d'une forme humaine à une forme animale sans effet direct et percutant, ne cherchant pas plus loin qu'un efficace faux raccord.

Scindé en trois parties, l'équilibre des 1h40 n'est pas toujours conservé mais repose sur de longues scènes rendues poignante par leur déroulement mystérieux, construit sur un suspense peu haletant mais subtilement volontaire, le plus souvent vers des dénouements insoupçonnables (du moins lorsque nous ne connaissons pas l'ouvrage d'origine). En pilote quasi automatique, le film ne pourrait apparaître que comme une vulgaire enfilade de scènettes ennuyeuses fonctionnant indépendamment les unes des autres. Si Honoré ne possédait pas cette maîtrise de filmage des corps dénudés, parfois même abusivement sublimés, l'intérêt de Métamorphoses s'échouerai paresseusement dans la direction artistique et l'usage des décors naturels. Voir un cinéaste chambouler son univers propre pour faire table rase et repartir à zéro avec cette ambition folle n'en est que plus attirant. Critiquer le jeu d'acteur n'est ici pas un argument valable : nous sommes avant tout face à des corps humains, des corps de femmes et d'hommes arborant leur sexe et leur poitrine comme un élément non tabou et surtout peu justifié dans la plupart des situations, animés par un désir d'abolition du hors champ.

À l'inverse d'Holy Motors de Leos Carax auquel Métamorphoses peut parfois faire penser, Honoré se n'attelle pas au discours réflexif et lourdingue sur le septième art. Il n'est finalement à la recherche que d'un seul et même unique but : raconter des mythes, projeter un texte vieux de plusieurs siècles sur un écran de cinéma afin de nous en faire partager sa vision propre, à l'image de grands opéras (on peut à ce propos émettre quelques réserves sur la séquence d'Orphée et Eurydice). Tout est-il compréhensible et limpide sans être connaisseur d'Ovide ? Assurément non. Un charme volatile s'opère pourtant en dépit des nombreuses maladresses du film, un charme sans doute oubliable quelques jours après la séance. Mais Métamorphoses est également la surprise innatendue d'un grand cinéma français poétique que nous n'aurions jamais pensé dénicher chez un réalisateur de comédies musicales rétros. Il préférait jeter un regard en arrière et honorer le cinéma d'antan ; aujourd'hui, le vent a tourné.
Forrest
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le 10 sept. 2014

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