Six pieds sous terre
Après "Petit Paysan", Hubert Charuel revient avec un film qui n'a rien à voir mais qui traite toujours du même contexte, celui-ci de la diagonale du vide dans laquelle il a grandi et à laquelle il...
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le 20 mai 2025
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C’est évidemment stupide, mais en regardant Météors, le beau second film d’Hubert Charuel, qui confirme largement le bien que l’on pensait de lui après son excellent Petit Paysan (largement, car il y a quand même un bémol de taille cette fois à notre plaisir, on y reviendra), ce sont les paroles d’une assez fameuse chanson des Garçons Bouchers, La bière, qui tournaient en boucle dans ma tête : « La bière, la bière / C’est comme si c’était mon frère / À la pression, en boîte, en cannette / On boit, on fait des rots et on pète… ». Pas très raffinée, cette chanson punk, sans doute, mais Météors se positionne exactement à cet endroit et à ce moment, où l’alcool (et la fumette, pour le coup) sert de béquille émotionnelle quand la vie est juste trop dure. Mais Météors est aussi une très belle – et tragique – histoire d’amour entre deux jeunes hommes – oui, ils appellent ça de l’amitié, évidemment, mais c’est bel et bien une superbe histoire d’amour…
Ce qui interpelle dans Météors, c’est avant tout le mélange des genres : on commence par beaucoup rire devant le spectacle à la fois hilarant et attristant de leurs médiocres aventures – avec le vol d’un chat Maine Coon au centre de l’intrigue – avant que le rire ne se glace devant l’accumulation – réaliste, jamais exagérée – des catastrophes qui s’enchaînent : problèmes de santé liés à l’addiction à l’alcool et à la drogue, boulot terrifiant dans l’une de ces poubelles nucléaires où l’on enfouit les déchets radioactifs en faisant semblant de croire qu’il s’agit d’une solution fiable et pérenne, délitement des liens d’amitié quand chacun a ses propres intérêts, son propre plan pour s’en sortir (ou pas). Le discours du film devient social, puis politique, sans jamais perdre de vue les émotions.
La force de Météors, qui lui permet de transcender les incertitudes et même les maladresses de son écriture (partagée, comme la réalisation, avec Claude Le Pape, jeune autrice dont Météors est le premier long métrage), est que Charuel, qui l’avait déjà prouvé avec Petit Paysan, a le don du casting : Paul Kircher, Salif Cissé, et surtout Idir Azougli, bouleversant, sont le trio magique qui fait la grâce du film. Avec leurs regards fuyants, leurs gestes brusques, leurs blagues pourraves, ils SONT le film. Charuel a l’intelligence de s’effacer devant eux, de reculer sa caméra pour les laisser respirer, être. Et de capter l’essentiel : les silences, la fatigue, l’ébriété et les excès, la fraternité et la tendresse. Météors garde le cap, se tient sur une ligne claire : filmer la dépendance, qu’elle soit vis-à-vis de l’alcool et des stupéfiants, ou affective.
Et lorsque Météors bascule dans le thriller (quasi) fantastique, avec la disparition de l’un des protagonistes, comme englouti lors de l’un de ses voyages au centre de la terre, là où l’on cache la radioactivité, on se dit qu’on tient un sacré moment de cinéma : quand la misère de la diagonale du vide (cette bande du territoire français qui, d’après les sociologues, traverse le pays des Ardennes aux Landes, caractérisée par une faible densité de population, un vieillissement démographique, une désindustrialisation ancienne et une rareté des services publics) ne peut plus être effacée par la solidarité, les amitiés, les vestiges concrets de l’humanité, il ne reste plus qu’à disparaître de la surface de la terre.
Malheureusement, et assez inexplicablement, Charuel et Le Pape sabotent leur film dans la dernière ligne droite, en faisant le double choix du symbolisme grossier (cette carpe qui retrouve le chemin de son étang !) et du happy end improbable. Comme si Météors, après avoir tenu à distance le romanesque, se laissait aller à un espoir – artificiel, pas loin du cliché – de cinéma, plus qu’à un espoir de vie. On n’a, évidemment, rien contre la lumière, mais elle paraît ici artificiellement plaquée sur un ciel jusque-là uniformément gris.
[Critique écrite en 2025]
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le 17 oct. 2025
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