Le chef d’œuvre me claque et se claque lui-même, sue et me fait suer, montrant l'errance folle entre vie et mort d'un vaurien comme les autres, unissant la confusion du chaos à travers une épopée pathétique, qui, nuit et jour, se tire dans le pied, ayant pour fil continu un ennui qui, si étrangement, me fascine, noyant de par son vide colossal, ni grand public, ni élitiste, faisant rêver de la réalité même, aussi surréaliste qu'elle est, d'une crudité naturelle donc belle, et pas sur-assombrit ou sur-éclaircit.... on vagabonde parmi les vagabonds, un temps entre Cosmo et ses potes, devenus tous producteurs à la cons obsédés par la thune, dans la ville bourdonnante, chaos sans union, un autre temps entre Cosmo et sa famille, son club de strip sensuellement pathétique, où la fumée s'esquisse dans les halos rouges, où les femmes appellent au sérieux face à l'obsession du jeu des hommes.


Puis les deux mondes se réunissent en un troisième temps, on ne pleure pas, on ne rit pas, c'est sûr, mais, au moins, on danse, ridicule qu'on est, saignant, blessé, bestial et divin à la fois. C'est le Bal des Vauriens (car dans ce monde de thune, tout vaut le rien). Chacun est responsable de soi-même, si libre, si unique, si seul, si rêveur... et Cosmo est le centre de cet univers. C'est un jeu, ça devient un devoir, ça se retrouve être un jeu (néanmoins, sérieux, froid comme chaleureux... néanmoins). Le néant ayant prit forme redevient néant. La réalisation prend toute sa valeur, Cosmo s'adapte à l'atmosphère, se mélange au paysage, combine l'absurde et l'héroïque : devenant ainsi le mythe. On s'habitue à l'errance, on se laisse aller, l'instant d'une éternité, les panoramiques ascendants et les zooms délicatement plongeant rappellent le rêve mélangé à la réalité. C'est flou, l'imagination. Avec lui, on est chez soi, on s'oublie, c'est un jeu (comme chez les hommes clichés) mais sérieux (comme chez les femmes clichés). Cosmo, réalisateur, spectateur, acteur, perdu dans l'infini, accorde l'esthétique et l'éthique, se confond dans le rythme sans point d'appui, le champ lui-même étant hors-champ, Cosmo devenant ainsi lui-même le point d'appui pour le spectateur, s'identifiant à ce beau fou pourtant distancé... un peu tous le monde, se retrouvant personne. Néant.


Spectateur est Acteur parmi les acteurs. Tous pareil car tous seul, tous héro(s) de leur propre chef d’œuvre. Drôle de tragédie. Casting de titans (Gazzara, Carey, Cassel, me fascinent, divins et bestiales). Longue focale hypnotisante, impliquante, direct. Intrigue sans sophistication. Pas de délire psychédélique ou de bavardage trop long. A partir du classique, on construit l'unique. Pas de différence entre second et premier degré. Un film qui ne renie pas le style, jouant avec le clair obscur et le flou comme peu l'ont fait. Une œuvre qui me hante, un mélange ni trop hétérogène ni trop homogène. Vivante et morte en même temps. Un chef d’œuvre.


(J'aborde ici la version de 1978, gardant l'essentiel, plus mathématique logique, éliminant le facultatif, plus fulgurante, à mon goût).

Asendre
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le 6 juil. 2018

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