Meurtres
7
Meurtres

Film de Richard Pottier (1950)

Un chef d’œuvre absolu magnifié par des dialogues au firmament

"Meurtres ?" est un film (très) dramatique français, réalisé par Richard Pottier, tourné et sorti en 1950. Il met en scène une famille de trois frères issus d’un milieu et d’une famille paysanne, les Annequin. Les deux aînés, Hervé (Jacques Varennes) et Blaise (Raymond Souplex), ont quitté leur village natal, lieu de leur naissance, pour partir en ville où ils deviennent respectivement avocat et médecin renommés, ont une situation établie, sont mariés et ont des enfants (un fils, José (Philippe Nicaud) pour Hervé, une fille, Martine (Jeanne Moreau dans son deuxième rôle) pour Blaise, que leurs parents veulent marier de force avec José, contre son avis, pour que "l’argent de la famille reste dans la famille"). Le dernier, Noël (Fernandel), est resté très attaché à la terre de ses parents qu’il aime, et où il reste habiter, la préférant à la ville, et lui rappelant des souvenirs heureux avec ses parents. Il s’est marié avec une femme de ce village, Isabelle (Line Noro) et est devenu paysan, comme ses parents l'ont été avant lui. Du fait de leur différence de situation, de lieu de vie, de "réussite sociale", les Annequin, notamment Hervé, méprisent considérablement Noël et sa femme, le discréditent et limitent autant que possible les interactions, les relations avec lui, ne souhaitant pas en entendre parler. Mais Isabelle, atteinte d’un cancer, est très gravement malade, et selon l’avis du médecin de la commune (Blaise, sur l’insistance de sa femme, ne s’étant pas déplacé), n’en a plus que pour quelques mois à vivre tout au plus. De plus, elle est en proie à de terribles souffrances physiques du fait de sa maladie et sait qu’elle est condamnée, malgré les illusions de Noël, espérant qu’elle guérisse, qu’il la retrouve aussi en forme qu’avant sa maladie, qu’elle soit sauvée, même si au fond de lui, il sait qu’il n’y a plus d’espoir. De ce fait, pour abréger ses souffrances, ses douleurs horribles, pour qu’elle parte sans plus aucune douleur, elle demande à son mari, comme preuve d’amour, de l’aider à mourir plus rapidement, grâce à l’injection supplémentaire de doses de piqûre (dont elle doit en recevoir 1 par jour). D’abord particulièrement réticent à cette idée, à cause de son amour pour Isabelle et de sa volonté, berné par ses illusions, ses faux espoirs, de la retrouver après sa maladie comme avant, et la suppliant de tenir encore quelques mois, Noël va finalement, devant l’affreux spectacle de la souffrance de sa femme et l’insistance de celle ci pour partir libérée, tranquille, donner ces injections supplémentaires, donnant lieu à la mort soudaine de sa femme. Ayant appris par leur frère la mort d’Isabelle, et alors que celui-ci, s’accuse, même en sachant avoir fait ce qu’il fallait, de l’avoir tuée, Hervé et Blaise décident d’étouffer l’affaire, pour ne pas que l’action de leur frère, si elle est révélée et connue de tous, jette le discrédit et l’opprobe sur le nom Annequin et sur leur situation, leur petit honneur personnel, dont ils sont si fiers et se glorifient. Mais apprenant que c’est la garde malade de sa maison (Germaine Kerjean), qui, à la suite de plusieurs lettres anonymes de villageois, est accusée du meurtre d’Isabelle, Noël veut se constituer prisonnier. Souhaitant protéger leur nom et leur honneur, malgré l’indifférence et le mépris total qu’ils ont pour lui, les deux frères refusent, et préfèrent, pour éviter un procès et une probable condamnation à leur frère, prétexter des problèmes mentaux de Noël pour le faire interner en hôpital psychiatrique, où, lui disent-ils, il restera 2/3 mois environ alors qu’ils espèrent qu’il n’en sorte jamais. Face à l’insistance et la volonté de Martine, complètement différente du reste de sa famille, et ayant de l’affection, de l’amitié pour Noël, jusqu'à tout faire pour aller le visiter en hôpital psychiatrique, pour le voir, Hervé et Blaise feront sortir Noël de l’hôpital, mais, pour être débarrassés de lui, souhaitent le faire partir au Venezuela. Noël partira finalement, mais avec Martine, et après avoir taché, entravé le nom des Annequin, en racontant à tout le monde, en dépit des recommandations de ses frères, ce qui s’est passé, pour répondre aux agissements, mis à part Martine, d’une famille si détestable et méprisante, en plus parfaitement et totalement hypocrite à son encontre. Il part avec la seule personne de la famille qu’il aime et qui l’aime, pure, attachante, affectueuse et sincère à son regard. Deux êtres se ressemblant finalement, à des années lumières de la bassesse, de l’hypocrisie et de la fausseté du reste de la famille...
Ce film, mon deuxième de Richard Pottier après la comédie musicale "Le Chanteur de Mexico" (avec Bourvil, Luis Mariano et Annie Cordy) est un film absolument extraordinaire, où Fernandel, dans un rôle vraiment dramatique de bout en bout, est magnifique, brillant, lumineux. Malgré d’autres rôles très bons (Naïs, Le schpountz, La Vache et la prisonnier), et de ce que j’en ai vu (une trentaine pour le moment), c’est pour moi son rôle le plus beau, le plus complet, le plus abouti de sa grande filmographie. Il nous montre ici à quel point, pas seulement un acteur comique, c’était un comédien absolument complet, capable d’alterner le drame ou la comédie avec une facilité et un talent incroyable. Dans ce film, il est immensément touchant, émouvant, que ce soit devant le lit de mort où sa femme souffre, agonise, est en proie aux plus violentes douleurs, et où il est avec elle, il la soutient, il l’aime tellement et veut qu’elle survive, qu’elle tienne, qu’elle résiste, qu’il la retrouve comme avant, avec une immense volonté, mais qui se heurte à sa raison lui disant que toutes ses illusions sont vaines, qu’elle est perdue, allant jusqu'à le faire pleurer, ému aux larmes et en proie à une douleur morale aussi forte que celles physiques de sa femme, devant cette personne qu’il aime véritablement et qu’il est en train de perdre ; ou lors des retrouvailles avec la deuxième personne qu’il aime et qui l’aime, la jeune Martine, notamment en hôpital psychiatrique, où il réalise vraiment qui est sa famille, qui sont ses frères, qui n’ont de "famille" ou de "frères" que le sang, et qu’il se rend compte vraiment de la pureté et de la gentillesse de celle-ci, contrastant avec la fausseté, la lâcheté, l’hypocrisie de tous les autres, de l’affection qu’elle lui témoigne et qu’au moins une personne a envers lui. Dans ses relations avec ses frères (mariés respectivement à Lola (Hervé), une parfaite idiote (Colette Mareuil), et Blanche (Blaise), une femme bourgeoise manipulatrice, calculatrice, fausse, au summum de l’hypocrisie et du mensonge (Mireille Perrey), et plus largement avec sa famille, il est exceptionnel, se montrant tour à tour assez faible et sous l’emprise de ses deux frères, effacé, triste, mais aussi plus mordant et virulent avec eux, pouvant être calme ou très en colère, d’un caractère variable, où il excelle, notamment quand il réalise et comprend vraiment qui ils sont et qu’il comprend que lui, homme généreux, sincère, honnête, et fondamentalement bon, n’a rien à voir avec ces êtres arrivistes, hypocrites, méprisants, faux, souhaitant protéger et sauvegarder un petit honneur, une gloire personnelle et familiale qu’ils ne méritent pas, contrairement à Noël, digne successeur de ses parents, appliquant les valeurs qu’ils, en bons et généreux campagnards, lui ont inculquées et qu’il a conservées toujours en lui. Il comprend bien que ces personnes là n’ont de famille que le nom, et sont, en tout point, drastiquement opposées à lui. Fernandel est donc de bout en bout absolument magnifique, démontrant de nouveau son immense talent et sa capacité à être aussi convaincant dans les drames que dans les comédies, dans peut-être son plus beau rôle. Autour de lui, la plupart des acteurs sont excellents. Dans des rôles de frères aînés arrivistes et hypocrites, menteurs et faux, plus soucieux de leur image et de leur honneur que de l’aide, du secours à apporter à Noël, Jacques Varennes et Raymond Souplex sont tous deux brillants. Varennes joue une personne encore plus antipathique que son frère cadet, car, en ainé, dirige, décide, commande, son frère cadet, qui lui est complètement influencé, à la fois par Hervé, et par sa femme, malgré une volonté aperçue de secourir et d’aider Noël. C’est Hervé qui prend la direction des opérations, et qui paraît encore plus faux et hypocrite que Blaise. Il semble particulièrement n’avoir aucune empathie pour Noël, alors que le personnage de Blaise, second des frères, souvent faux et hypocrite mais parfois plus humain et témoignant plus d’affection pour son petit frère, essayant quelque peu de l’aider, mais sous l’influence de deux personnes au summum de l’indifférence et du manque de sympathie pour Noël; paraît plus contrasté. Justement, Mireille Perrey, dans le personnage peut-être le pire du film, en bourgeoise menteuse, mondaine, hypocrite, vaniteuse, fausse, n’ayant que du mépris, de l’indifférence et du dédain pour son beau-frère, dont elle se fiche complètement, est aussi excellente, malgré une apparence physique et un jeu loin d’être moderne, même pour les années 50 (elle semble restée dans les années 30). On ne peut pas en dire autant de Colette Mareuil et de Philippe Nicaud (au tout début de sa carrière), dans des personnages il est vrai assez stupides et idiots, n’apportant rien au récit, mais dans lesquels ils ne brillent pas et peinent à exister. Au contraire, Line Noro, souffrant terriblement sur son lit de mort du fait de sa maladie et suppliant son mari d’abréger ses souffrances, est exceptionnelle de puissance et d’intensité dramatique, de force dramatique face à Fernandel, est très convaincante et démontre l’étendu de son talent dramatique dans un rôle fort et important du film. Georges Chamarat en juge d’instruction compréhensif et solidaire envers Noël, dont il voit tout de suite l’intelligence et la bonté, et comprend rapidement le stratagème monté par ses frères, est très bon également. Mais pour son deuxième film, la comédienne se révélant complètement et brillant de mille feux, c’est Jeanne Moreau. Seule personne manifestant de la sympathie, de la tendresse pour Noël dans la famille et faisant tout pour l’aider, sincère, douce, vraie, honnête, à l’opposé total du reste de la famille, elle montre déjà ses qualités exceptionnelles dans un très beau personnage ne ressemblant en rien à la bassesse et l’hypocrisie, la fausseté caractérisant ses parents et beaux parents. Seule personnage voulant aider et aimer Noël, elle finira, quand lui devra partir, à quitter toute cette famille médiocre lui inspirant du dégoût et de l’aversion, pour le suivre dans son voyage et partir avec lui. Elle forme à 22 ans, un duo exceptionnel avec Fernandel, en êtres humains, bons, justes, au contraire du reste de la famille qui ne lui inspire que du mépris.
La photographie en noir et blanc et la réalisation technique de Richard Pottier sont très bonnes, accentuant et soulignant parfaitement le côté dramatique, sombre, noir, de l’histoire. Le film est très bien et très justement filmé. Mais avec la qualité, le talent exceptionnel des principaux acteurs, ce qui marque principalement et drastiquement au visionnage de ce film, ce sont les dialogues extraordinaires d’Henri Jeanson, qui font de ce film un chef d’oeuvre. Tour à tour sarcastiques, comiques, ironiques, dramatiques, forts, puissants, ils donnent au film une dimension exceptionnelle, immense à ce film, en en faisant l’un des mieux dialogués du cinéma français. Ils sont toujours parfaits en toutes circonstances, d’une justesse, d’une qualité hallucinante, en lien parfait avec chaque situation, chaque scène, d’une puissance, d’une émotion et d’un talent tels qu’on ne peut pas s’ennuyer une seconde en regardant ce film et en savourant ces dialogues, magnifiés et remplis d’une force supplémentaire par la plupart des comédiens les disant. Ils font rire, pleurer, réfléchir sur la société et surtout donnent une dimension, une profondeur dans tous les personnages, principaux, ou secondaires, assez exceptionnelle. Chaque personnage est profond, du bon et du mauvais côté, et reçoit une âme, une force supplémentaire par l’immense qualité de ces dialogues, au firmament, élevant ce film à la dimension de chef d’œuvre.
Enfin, ce film possède des aspects, des traits forts, dans les personnages et situations qu’il raconte, qu’il évoque. Le sujet de l’euthanasie est abordé quand Noël, sous l’insistance de sa femme, en proie aux plus violentes et terribles souffrances, abrége ses douleurs. Dans un premier temps, il refuse, imaginant pouvoir la retrouver en forme et sauvée d’ici quelques mois, ayant seulement une mauvaise période à passer mais ayant l’espoir qu’elle guérisse et soit sauvée. Ce sont des illusions qu’il se fait, le médecin de campagne lui ayant fait comprendre, sa femme lui répétant, et même lui au fond, le sachant, qu’elle n’a au maximum que quelques mois à vivre et qu’il ne reste plus (beaucoup) d’espoir. Comprenant finalement que celui-ci est vain, face au spectacle affreux devant lui, et aux demandes répétitives de sa femme lui faisant comprendre que ce serait la plus belle preuve d’amour de sa part, il cède, son amour toujours dévoré, tiraillé entre le fait d’arrêter les souffrances de sa femme, comme elle le souhaite, subissant une violence physique atroce, et l’illusion de la voir guérir d’ici quelques mois, ou tout du moins de rester présent, à ses côtés, pour sa fin de vie, mais sans abroger ses souffrances lui-même car incapable de lui faire du mal, tellement c’est inconcevable pour lui, pour la seule personne qu’il aime et qui l’aime sincèrement et véritablement. Ce film est très fort sur ce sujet de l’euthanasie, à travers cet événement poignant et au summum de l’émotion duquel va découler tout ce qui va se passer ensuite. Ce film dénonce également l’hypocrisie, le mensonge, la fausseté de la société, encore plus au sein d’une même famille, où on privilégie le maintien de sa situation, de son travail, de son honneur et de sa gloire personnelle, de son nom, célèbre, plutôt que sa famille, comme son frère, qu’on méprise et rejette, qui n’est pour nous qu’un "lien du sang", rien de plus. On préfère maintenir, préserver, sa petite tranquillité bourgeoise, son nom, sa réputation, son aura, plutôt que les relations humaines réelles, tout faire pour satisfaire son égoïsme et son arrivisme exacerbé plutôt que de défendre, aider, ou au moins comprendre, ou essayer de le faire, une personne de sa famille. Le film, à travers les relations entre frères, illustre également le mépris de la famille étant partie à la ville envers celle restée à la campagne, pour perpétuer pourtant l’héritage, la tradition familiale, le mépris que peut avoir deux frères avocat et médecin envers leur frère resté, comme ses parents, un simple paysan, pourtant plus bon, sincère, affectueux et tendre qu’ils ne le sont, et alors qu’ils sont tous trois originaires de cette campagne, mais deux ont choisi un destin, et le troisième un destin différent, un autre chemin, source de mépris ou d’indifférence de la part d’Hervé et Blaise, et d’une fracture créée entre ces deux mondes, et s’accentuant continuellement.
Ainsi, ce film assez méconnu dans la filmographie de Fernandel et réalisé par quelqu’un de peu connu également se révèle absolument exceptionnel, porté par une tonalité dramatique forte et continuellement présente, par des acteurs principaux excellents, à l’image d’un Fernandel extraordinaire dans un rôle sombre et noir, prouvant son immense talent dramatique autant que comique, d’une Jeanne Moreau lumineuse et brillante révélant tout son talent à la France de 1950 du haut de ses 22 ans, par l’évocation de sujets de société majeurs faisant encore débat aujourd'hui, exploités avec émotion et talent, par une critique acerbe certaine de personnes, de catégories sociales ou de visions de la société en 1950; mais surtout par les dialogues fabuleux et parfaits d’Henri Jeanson, au firmament, donnant tout son sel, son âme à cette œuvre qu’ils élèvent au rang de chef d’œuvre du cinéma français et des années 50.
Oui, un chef d’oeuvre, que pour toutes ces raisons et spécialement la dernière, je vous conseille vraiment de voir.

wallersayn79
10
Écrit par

Créée

le 29 août 2022

Modifiée

le 29 août 2022

Critique lue 76 fois

wallersayn79

Écrit par

Critique lue 76 fois

D'autres avis sur Meurtres

Meurtres
Caine78
7

Critique de Meurtres par Caine78

Un drame convaincant et un contre-emploi total pour Fernandel dans ce qui est probablement l'une de ses meilleures prestations. Les dialogues d'Henri Jeanson n'y sont pas non plus étrangers.

le 1 avr. 2020

2 j'aime

1

Meurtres
BenByde
9

Noël et ses frères

Tout le monde aime les acteurs comiques parce qu'ils nous font rire. Je vous renvoie aux classements des personnalités préféré des français plaçant régulièrement des Omar Sy, Jean Dujardin, ou même...

le 8 nov. 2018

2 j'aime

1

Meurtres
caiuspupus
8

Critique de Meurtres par caiuspupus

Fernandel dans un rôle tragique, c'est toujours assez particulier. Ici, le film aborde le thème de l'euthanasie, mais aussi le rapport à l'honneur et à la famille. Deux visions s'affrontent au sein...

le 30 mai 2017

2 j'aime

1

Du même critique

L'Amant de paille
wallersayn79
8

Très bonne comédie, divertissante et pleine de rebondissements

L'Amant de Paille est un film français tourné en 1950 et sorti en 1951, réalisé par Gilles Grangier, et adapté de la pièce de théâtre homonyme de Marc-Gilbert Sauvajon, qui a donc grandement...

le 29 juil. 2021

1 j'aime

Meurtres
wallersayn79
10

Un chef d’œuvre absolu magnifié par des dialogues au firmament

"Meurtres ?" est un film (très) dramatique français, réalisé par Richard Pottier, tourné et sorti en 1950. Il met en scène une famille de trois frères issus d’un milieu et d’une famille paysanne, les...

le 29 août 2022

Miroir
wallersayn79
7

Miroir (1947)

"Miroir" est un film dramatique et noir français, tourné en 1946 et sorti en 1947. Seul film réalisé par l’habituel monteur Raymond Lamy, il raconte l’histoire d’un homme à deux faces, complètement...

le 4 juil. 2022