Si l’homme ne constitue qu’une empreinte dans son séjour éphémère sur terre, certains préfèrent la sceller au fond d’une toile, d’une idée ou des mémoires. Celui dont on s’intéresse ici l’aura fait dans le marbre, une roche aussi blanche que sa pureté, sa dureté et sa monstruosité. Andreï Konchalovski, qui arrive sans doute au bout de son parcours, ne lutte pas en vain en préférant se limiter à l’antre de la folie, d’un artiste par son talent et d’un homme par sa sensibilité. Et sur cette voie sacrée et sacrifiée de la conception de chef-d’œuvre en devenir, le réalisateur russe nous promène à travers divers décors décrivant, amplement et simplement, la prison mentale et spirituelle de Michelangelo. Il s’agit ainsi d’une vision, d’une expérience qui appelle aux sens du deuxième art, reposant sur la majestuosité d’un environnement mélancolique et sauvage.


De cette manière, la matière brute est palpable. Les contours et la profondeur des modèles séduisent le regard d’un homme, asservi par son propre génie et malgré lui. Et c’est pourtant de là qu’il puisera toute sa force de résister, face aux péchés et à la brutalité de ses commanditaires, se succédant et campant sur le fantasme de l’éternel. Michelangelo sert ainsi les hommes, mais répond d’une divinité qui lui est accessible par le biais de sa folie et son individualisme tranchant. Alberto Testone le campe magnifiquement, permettant d’affiner le portrait de l’artiste au sommet de sa conception, au sommet de son ardeur artistique. Il fait alors face à la vanité des hommes, qui se piétinent exactement pour les mêmes richesses que convoite Michelangelo. L’aboutissement de son projet dépend ainsi de la souveraineté, qui se garde le contrôle du financement et donc l’indépendance du misérable. Cet écho semble tout à fait pertinent, sachant le parcours du réalisateur, qui jongle encore entre sa mère-patrie et son antipode.


Ce biopic ne reste donc pas forcément authentique, car c’est avant tout le portrait de Konchalovski qui en ressort ébranlé. Consciencieux du personnage qu’il traite, il y trouve une voie métaphysique, qu’il sert avec grande une finesse. Son seul désir est de dévoiler le potentiel de la pureté, que l’on devine rapidement être la beauté, et ce en toute chose sur cette bonne terre barbare et sans compromis. C’est pourquoi la folie des grandeurs pousse Michelangelo à vouloir transformer une créature marbrée en un portrait divin et éternel. Ce symbole de puissance écrase littéralement les hommes et surtout celui qui désire le soumettre à son influence artisanale. Ses limites s’entrechoquent donc au même rythme qu’il sombre dans la déchéance, la trahison et l’espoir de poncer lui-même son Graal. Le diable aux trousses, le fouet mental en face, il ne lui reste plus grand-chose pour comble un appétit féroce et déraisonnable, qui donne lieu à de la mise en scène religieuse et crasseuse, comme si nous venions partager ses regrettables maux et dilemmes.


L’œuvre se tourne vers l’essentiel et uniquement cela. La recherche de la bonne paye conduit à la bonne pierre. Il n’en faut pas plus et on le comprend instinctivement en y regardant de plus près. Le marbre constitue le péché de Michel-Ange (Il Peccato), mais également sa rage dans toute sa quête de l’impossible et du merveilleux. Konchalovski se livre ainsi, par la même occasion, à travers sa matière première. Elle divise les hommes, ses richesses et ses divers pouvoirs, alors que l’intérêt passe au préalable dans les traits du visage, du corps et du mal, que l’on décrit avec ce qu’il faut de subtilité pour qu’on se laisse tenter par nos propres interprétations. Une œuvre monumentale qui régale par le sang et la sueur, non pas dans la sculpture en elle-même, mais dans l’effort et l’appréhension d’un monde d’hommes qui ne cessent de bafouer ce que l’on possède et ce que l’on désire.

Cinememories
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le 15 nov. 2020

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