Microhabitat
7.2
Microhabitat

Film de Jeon Go-Woon (2018)

Le feel good non assumé ou cet ennemi possible et majeur du Cinéma.

Un film à la douceur appliquée, des personnages attachants, une spatialisation et une critique claire de la société coréenne mais tout cela suffit-il à faire un film impactant et retentissant pour autant ? Pas vraiment.
Car même si Microhabitat me fait adorer son personnage principal par son extrême gentillesse maternelle envers les autres, il me l'a fait détester tout autant à cause d'un point de vue esthétique très douteux que fait (sans se questionner) la réalisatrice (malgré la sincérité nullement remise en cause de l'oeuvre en question.)
L'aspect "feel good" et tout rose décidément trop exagéré du film (même si ce code est parfois finement joué pour montrer un regard sévère sur la Corée du sud, j'en suis conscient) fait paraître la situation catastrophique de cette femme sans domicile fixe comme un évènement "normal" et coulant de source. Car même si le personnage semble en désaccord avec sa position actuelle, elle finit par accepter sa vie tout en s'acceptant elle-même à force de relâchements vers la fin. Et c'est très bien puisque c'est son choix (car ce n'est pas cela que je critique réellement en soit.)
Mi-So, 31 ans, suit donc son chemin calmement sans faire de grandes crises malgré parfois quelques pleurs à force de fatigue. Et même si elle tente de changer sa vie un jour, elle le fait sans grands changements véritables, en ne fumant que des cigarettes moins chers ou bien en dormant chez ses "amis" qui finissent par la foutre dehors avec des mots doux ou bien sans même lui dire presque un seul mot. Une "douceur" particulièrement intéressante dans le cas de ce film qui aurait pu être d'avantage plus approfondie si ce code était confronté à une dureté plus profonde dans le cas de la mise en scène. Car la dureté du sujet même (être sans domicile dans un monde qui vous met de côté), je ne l'ai aucunement ressentie. Pas un iota. Alors que je le souhaitais tant malgré ( j'en conviens) quelques scènes de pleurs ou de disputes entres ces personnages et ce hors-champ presque tactile du passé de ces derniers où l'on ressent aisément au fur et à mesure une réelle sympathie pour eux.
Je ne dis pas non plus que lorsqu'un sujet est dramatique, il faut que la mise en scène soit dramatique, bien au contraire.
Je suis même tout à fait d'accord avec ce regard très "doux" et allégé encore une fois : un choix de réalisation opté particulièrement par le montage, par cette image presque laiteuse, par une musique paisible, etc. Mais ce parti pris de la douceur, pour qu'il soit d'autant plus émouvant, doit au bout d'un moment être confronté avec d'autres couleurs plus contrastées : afin de rendre l'oeuvre riche et profonde par son sujet traité (surtout par ce fait réel de société que l'on tend à cacher au sein de ce monde bien capitaliste).
Le film "Drive My Car" par ses silences, par cette même paisibilité d'ailleurs, avait réussi néanmoins à montrer un pan concret du réel par la fiction et le théâtre : mais tout en magnant très bien les contrastes que ressent l'âme du personnage principal dans sa vie calme de tous les jours. Ces contrastes là dans Microhabitat sont très vite cachés dès le début, ce qui ne donne au final qu'un seul trait visible au personnage et non pas plusieurs. Un personnage qui fait presque seulement fonction d'exister, de continuer à marcher.
Ainsi, je ne savais quoi ressentir devant ce long-métrage car je n'avais pas l'impression finalement de voir un film, mais l'épisode d'une série à l'eau de rose coréenne qui apaise simplement les plaies, au lieu de les rouvrir et de les apaiser par la suite. Car le défaut principal du film, c'est qu'il ne fait qu'apaiser notre coeur tout du long. Rien de plus.
Uniformisant tous les problèmes de société que vivent les plus riches également comme : le divorce d'un couple, une femme contrôlée par son mari, la société qui marginalise la femme, etc. Ainsi cette critique sévère de la société, pourtant bien présente dans le film, finit par se faire accepter sans sourciller comme la sévérité même de cette société. Ce qui met alors tous les fruits dans le même panier. Tout est ainsi au même niveau, ne donnant aucune "brèche" possible à ce monde-là. Un regard vide sans possibilité de creuser derrière un paysage ou bien un visage pour que l'émotion forte arrive enfin quelques secondes. Et c'est pourtant ce que doit faire un réalisateur ou une réalisatrice : avoir un regard qui "creuse", qui cherche quelque chose d'enfouie au sein même du personnage ou bien du paysage filmé.
Je n'ai pu donc ressentir une seule seconde dans le fond la souffrance cachée de cette trentenaire presque sans un sou. Ainsi une fausse sympathie et mensongère se créait entre moi et ce personnage si adorable.
D'autres films très "doux" dans leurs procédés comme ceux de Jim Jarmusch par exemple, arrivent à faire passer une réelle souffrance des personnages grâce à son regard méditatif du monde les entourant, les séparant, les rapprochant : un procédé très intelligent qui nous fait voir d'autres voies possible que peut envisager le Cinéma de nos jours.
Mais comme "Microhabitat" ne semble à aucun moment prendre un recul face à ce paisible là et à ses propres personnages, le film perd donc en profondeur, ne laissant qu'un arrière goût de "tout va bien dans le pire" sans véritablement appuyer le concret de ce pire-là.
On finit donc, en tant que spectateur, par cet étrange sentiment d'avoir aimé l'atmosphère du film sans véritablement y avoir été plongé malgré la sincérité du propos.

BluesEnCamélias
5

Créée

le 30 nov. 2021

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