De Million Dollar Baby, je pensais en connaître le funeste dénouement, mais la réalité n’est pas toujours celle que l’on croit : car là où je redoutais une conclusion sur le ring assortie d’un trépas abrupte, le devenir de Margaret « Maggie » Fitzgerald se sera avéré lancinant comme cruel, quoique à même de souligner avec une maestria folle tout le propos du long-métrage.
Récit d’ombres et de lumière, le scénario de Paul Haggis fait du contraste une véritable force latente : s’extirpant des tréfonds de l’Amérique profonde, Maggie attirera a elle les projecteurs tout en s’émancipant d’une famille parasite, nouant a contrario une relation dont l’âpreté n’aura d’égal que la pureté. Les formidables derniers mots de Frankie Dunn, levant le voile sur la signification qu’il donne à Mo Cuishle, traduisent ainsi littéralement la profondeur de ses thématiques, non contents de former qui plus est l’une des séquences les plus émouvantes (et crève-cœur) qu’il m’ait été donné de vivre.
La figure paternelle en quête de rédemption qu’est Frankie, bien que typique d’un Clint Eastwood que l’on ne présente plus (magistral, encore une fois), alimente également la dimension duale de Million Dollar Baby, avec en son centre une infinité de nuances propres à l’humain : et si le long-métrage n’en clarifiera jamais le passé, préférant occulter les raisons de ses brouilles familiales (que l’on peut deviner au demeurant), cela profite grandement à l’esquisse d’un portrait riche comme imparfait, vivier de remords retrouvant des couleurs au contact d’une Maggie ardente.
Aussi, quand bien même le rôle de narrateur de Scrap serait aussi plutôt classique, la « faute » à un Morgan Freeman comme un poisson dans l’eau, l’intrigue de Million Dollar Baby ne saurait s’en tenir à un simple film de boxe : si les notions d’efforts, d’abnégation et autres éléments techniques/tactiques propres à ce sport spectaculaire sont bien de la partie, ils servent davantage les prétentions sociales et dramatiques du tout, au point d’ailleurs de ne pas se faire s’éterniser les combats de Maggie (quitte à carrément tirer sur la corde du KO éclair).
Le véritable point faible de Million Dollar Baby, s’il fallait en trouver un, serait finalement le traitement de certains de ses antagonismes : la famille Fitzgerald d’abord, assemblée de personnages tous plus odieux et détestables les uns que les autres, et bien sûr l’antipathique « Ourse Bleue », le spectateur ne pouvant douter de sa brutalité comme de sa vilenie tant le long-métrage aura préparé le terrain en ce sens. Rien de rédhibitoire pour autant, le film ne glissant pas vraiment dans un manichéisme de mauvais goût ; qui plus est, la réalisation de Clint parachève le tableau au gré d’une mise en scène élégante, capitalisant sur des jeux de lumières n’évoquant que trop bien les parts d’ombres de tout un chacun.
Bénéficiant qui plus est d’une bande-originale discrète mais non moins excellente, Million Dollar Baby coche ainsi toutes les cases du récit remuant : navigant avec grâce entre de multiples sujets connexes comme délicats (sous-texte sur la foi et plus frontalement la balance entre vie et mort), son casting luxueux (Hilary Swank crève l’écran) et son art de la nuance en disent long quant à la légitimité de son succès critiques... assorti de quelques récompenses amplement méritées.