Ah cerf ah cerf ah cerf, les aristocrates à la lanterne

C'est dur. C'est compliqué parce que j'ai envie de l'aimer, mais il se complaît dans un formalisme opaque, hermétique, pas ésotérique non non non, un formalisme qui fait système en vase clos dans son propre narcissisme, ses propres névroses et surtout ses propres routines. Des fois j'me demande si je suis pas autiste, mais si on devait désigner un réalisateur qui produit cette illusion d'autisme à la chaîne dans des objets filmiques cloisonnés, verrouillés de l'intérieur et pourtant cohérents, on pourrait nommer Yorgos. Alors oui certes ce surréalisme, ce côté atypique fait comme d'hab' penser au père Lynch, mais là c'est différent. On n'est pas dans le rêve, on n'est pas dans le cauchemar, on n'est pas dans l'épure même si cette rigueur formelle et ses persos peu loquaces lui confèrent un caractère austère.


Non, on est dans un autre monde, un monde parallèle qui ressemble au nôtre mais avec ce "je ne sais quoi" qui ne va pas. Un monde où bizarrement tout le monde aurait un comportement stéréotypique. Où les échanges seraient constamment au minimum étranges, awkwards, et au pire dérangeants voire inappropriés. Comme parler de ses poils d'aisselles ou annoncer de but en blanc qu'on vient d'avoir ses règles pour la première fois. Un monde où le froid serait la norme, la porte de prison la porte d'accueil des échanges cordiaux. On pourrait dire que c'est lié au milieu bourgeois dans lequel baignent tous les personnages ou presque, qui impose de porter son masque placide, impassible les 3/4 du temps. Mais non, même pas, l'antagoniste du film aux allures de Joquère Heath Ledgère n'est pas issu du sérail médical, LUI. Enfin pas exactement. De filiation médicale oui, mais pas dans son existence actuelle, avec une mère au chômage et un père défunt. Si c'est aussi et surtout une compétence de la haute d'arborer un masque de bonhommie - #bienveillance - pour mieux faire passer la pilule de la domination, ce n'est pas un repère fiable dans ce monde alternatif où certaines vérités sont jetées en pâture avec ou sans 'truth or dare', avec ou sans confession paternelle à son fils, mais le plus souvent tues parce que si les âmes sont pas loin d'être à zéro, les dialogues eux sont à l'économie. Chez Yorgos, personne ne semble l'avoir avalée, cette pilule laxative du savoir-être. Tout est étrange, tout est chaos, on s'croirait chez Aster, version Beau is Afraid, le complexe d'Œdipe en moins.


Avec ce Mise à mort du cerf sacré, Yorgos est encore dans une approche stylistique maniaque et fermée, alors qu'avec les suivants il a su déjouer ses propres tics pour faire du bariolé, du rythmé, du varié, du conte pour adultes avec Pauvres créatures, du Pop et du Pulp avec Kinds of Kindness. Plus ouvert au grand public mais pas sans personnalité. Ici c'est différent. Je repense à Canine et au Haneke de Funny Games. Une horreur douce-aigre de la perturbation d'un quotidien tracé dans un écrin de vie maîtrisée, propre, sans dommages, sans incidents de parcours. Une vie chirurgicale d'une famille de médecins spécialistes. Pas de tueur en série, pas de cabane dans les bois, de la violence rentrée, rangée, de la vengeance espiègle dissimulée, suggérée, entre gens de bonne vie et de bonne vertu. Du jeu pervers de manipulation d'abord discursif puis ouvertement physique, de la main qui astique à la main qui agite le fusil. Mais jamais de grandes effusions, ni de sang, ni de joie. Jusqu'au bout tout se tient droit, comme l'a intimé le perso de Nicole Kidman à son fils en début de film. Hypocrisie ou neurasthénie ? Une égide cinématographique sous Xanax ou sous Prozac ? Une fois la réparation obtenue, les illusions sont sauves, l'ordre l'ordre l'ordre est restauré. Tout est bien qui finit mal. Mais un mal pour un bien.

Adrast
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films à acheter en BR quand je serai multi-millionnaire...

Créée

le 3 nov. 2025

Critique lue 4 fois

Adrast

Écrit par

Critique lue 4 fois

D'autres avis sur Mise à mort du cerf sacré

Mise à mort du cerf sacré
Sergent_Pepper
7

Docteur cagoule

Cela ne surprendra personne si l’on affirme que le dernier film de Lanthimos est surprenant. Ayant déjà engagé son comédien Colin Farrell sur des voies bien singulières dans son précédent et...

le 1 nov. 2017

80 j'aime

9

Mise à mort du cerf sacré
AnneSchneider
8

Quand la figure du destin fait voler en éclats le mythe d’une puissance absolue...

Steven, chirurgien cardiaque (Colin Farrell), se trouve marié à Anna (Nicole Kidman), qui dirige une clinique d’ophtalmologie. Pleins pouvoirs sur le cœur, le regard ; un rêve de maîtrise absolue,...

le 24 oct. 2018

71 j'aime

18

Mise à mort du cerf sacré
Velvetman
8

Memories of Murder

Après le plébiscite occasionné par The Lobster, Yorgos Lanthimos revient avec Mise à mort du cerf sacré, de nouveau tourné et réalisé dans la langue de Shakespeare. Le réalisateur grec commence à se...

le 26 juin 2017

63 j'aime

2

Du même critique

Samurai Champloo
Adrast
5

Douche froide.

D'emblée, Samurai Champloo se laisse regarder en se disant qu'on voit un énième manga détroussé de son scénario, foutu aux oubliettes avec son cousin l'originalité. L'absence d'intrigue est ce qui...

le 23 févr. 2011

21 j'aime

9

Indiana Jones et le Temple maudit
Adrast
5

(In)dyspensable

Je suis vraiment mitigé. Tout d'abord, c'est très long à démarrer, avec des scènes qui s’enchainent un peu sans queue ni tête sans aucune réelle incidence mais du pataquès en veux-tu en voilà : et...

le 11 nov. 2015

18 j'aime

1

Bref.
Adrast
5

Euh... ouais. On peut m'expliquer ?

Raconter la vie d'un type normal à tendance naze, c'est bien. Et quand en plus elle est racontée par ce même type, ça force la sympathie. Mais quand ça se regarde à la chaîne avec pour réaction...

le 10 sept. 2011

15 j'aime

2