Jennifer, du neuf avec du vieux... Sauf que raté.

Le temps passant, je me rends compte qu'il est plus facile d'écrire de façon rigolote et passionnée sur du négatif que sur du positif.
Pour un film que l'on a aimé, l'on peut égrener la liste des choses qui nous ont plu, de la lumière au jeu des acteurs, de la musique au montage. Plus subjectivement, on peut expliquer la résonance que l'œuvre a avec notre histoire personnelle. Mais, soyons honnêtes, ça tourne parfois un peu en rond.
À l'inverse, lorsqu'on n'a pas apprécié quelque chose, il est toujours possible de tourner notre déception en dérision, essayer de tirer quelque chose de positif de ce mauvais moment, de l'ennui ou énervement ressenti. Sans tomber dans le cliché facile, on constate d'ailleurs niveau commercial que les gens vont souvent s'exprimer quand quelque chose s'est mal passé (mon appareil est tombé en panne, le SAV était incompétent), rarement quand tout va bien.
C'est typiquement français ou pas, en tout cas je trouve que ça ne se limite pas au cinéma. Ni à moi, j'espère.

Ce petit épisode 3615 MAVIE parce que, ces derniers temps, j'ai bien l'impression de traverser une vilaine période de vache maigre et, nonobstant quelques bons films, je m'échine à écrire pour détruire les mauvais.
Ce n'est pas pour faire du bashing gratuit ni par démagogie pour engranger du like mais parce que, en toute sincérité, je pense avoir davantage à en dire, en grande partie pour les raisons exposées plus haut.
Parfois également, je ressens le besoin d'en parler parce que le film est une déception. J'avais des attentes, des espoirs, une sympathie pour tel ou tel élément (que ce soit le réalisateur, l'histoire, ce que la bande-annonce laissait transparaître de l'ambiance).
Il ne faut pas se voiler la face, c'est souvent un signe que le film a produit quelque chose, même si c'est très mauvais.

Pour Mr Babadook, quitte à perdre définitivement le peu de personnes qui ont eu le courage de lire mes élucubrations jusqu'ici, il faut, pour clôturer cette interminable introduction, donner quelques éléments de contexte.
Je suis assez peu éduqué en matière de cinéma d'horreur/épouvante. Je me soigne, notamment grâce à ma délicieuse moitié qui aime beaucoup ça. Sans prétention aucune, il faut également admettre que ce genre peine souvent à me décrocher un frémissement, indépendamment de la qualité du film.
Ma dernière grosse claque, sûrement en partie parce que je l'ai vu au cinéma, fût Conjuring l'an dernier. Cela a également été l'occasion de redécouvrir Insidious du même James Wan, que j'avais honteusement sous-noté et que, à l'aune de Conjuring mais aussi et surtout d'Insidious 2, j'ai bien entendu généreusement ré-évalué.

James Wan possède selon moi un talent inné pour se réapproprier les codes parfaitement éculés du genre. Il nous sort en 2013 un film des années 80, mettant à profit la technique d'aujourd'hui pour proposer une ambiance on ne peut plus classique, des mécanismes usés jusqu'à la corde mais qui, pour une raison explicable seulement partiellement, fonctionne du feu de dieu.
Bon, on s'éloigne franchement du sujet.
Si je parle de tout cela c'est parce que, d'une part, le distributeur de Mister Babadook s'est senti obligé de se réclamer du dernier succès en matière de film d'épouvante. La réalisatrice n'est aucunement à blâmer, j'en suis pleinement conscient. D'autre part, et là en revanche il y a à redire en terme de mise en scène, Jennifer Kent utilise sensiblement les mêmes ingrédients, sauf que la sauce ne prend pas.

À qui, ou quoi, en incombe la faute ?

La technique, tout d'abord.
Des cadrages bâclés à la lumière fadasse, le sentiment qui se dégage est certes le malaise, mais plutôt pour la candeur et la maladresse de ces vaines tentatives d'établir un climat malsain.
La facilité de certains effets (le monstre qui se déplace soudain très vite et/ou de manière saccadée, les jump scares nombreux et prévisibles) laisse pantois et dubitatif, d'autant que leur nombre et leur densité (par manque de temps, je ne vois que ça) empêche de digérer le précédent avant d'enchaîner.
C'est en somme un condensé de figures imposées, un programme court de patinage artistique où, malheureusement, le côté artistique n'a guère préséance.
Ah ça glisse, pour ça pas de problème, ça glisse sur le vernis de mon indifférence devant cette débauche d'efforts vains et sans grande conviction d'ailleurs.

Par politesse, je n'évoquerai pas la bande son et la musique.

Les personnages ensuite.
La mère, caricaturale jusqu'à la nausée, cliché de la veuve éplorée qui se débat au boulot comme à la maison et peine à concilier les deux, tout en traînant un traumatisme qui handicape sa vie sociale et de famille.
Elle transfère en effet sa peine à son fils, tout en transformant une partie de cette souffrance en cruauté. Inconsciemment bien sûr.
Sous couvert de satyre sociale, on nous montre combien cette mère est isolée, ignorée par la société dans son ensemble et progressivement délaissée par sa seule famille, sa sœur, sous la pression d'amies superficielles et étouffantes. Le stéréotype de la femme au foyer décérébrée et matérialiste a encore frappé.

Timide iceberg dans cette mer de soupe insipide, le collègue de boulot à la maison de retraite. Sitôt évoqué, sitôt disparu. Je ne sais pas si c'est réellement un mal, tant cela augurait d'une romance dénuée d'originalité et nocive à l'ambiance, mais dans ce cas pourquoi le suggérer avant de l'évincer sans la moindre explication ? C'est l'exemple typique de ces boursouflures superflues et nuisibles, qui sont certes excusables pour un premier film. En plus il était presque sympathique et crédible, par rapport au reste. Ceci explique cela, ça jurait dans le paysage...

Le gamin bien sûr, véritable hymne à la violence et à l'infanticide. Vishnu m'en soit témoin, il a fallu des trésors de self-control pour éviter de déchiqueter le siège du cinéma, tant ses braillements incessants rivalisaient avec les invraisemblables dialogues tenus à sa mère (on va se protéger mutuellement hein ? Je t'aime maman). Par pure charité, je m'abstiendrai de relever l'attitude successive des professeurs, des services sociaux, des voisins, des amis, de la famille et, bien sûr, de la mère elle-même en premier lieu.
C'est bien la peine de couiner sur cet enfant incontrôlable, de lui expliquer que non, fabriquer des armes à même d'éborgner ses petits camarades n'est pas une conception acceptable de la vie en communauté. Si c'est pour ne déboucher sur aucune conséquence, à commencer par LA CONFISCATION IMMÉDIATE ET DÉFINITIVE DESDITS OBJETS PUTAIN DE MERDE, je ne vois pas l'intérêt.
Dans la même veine, je préfère éviter de penser que c'était une manière de nous montrer l'incapacité de cette mère à élever son enfant. Tant de maladresse en deviendrait invraisemblable.

Car enfin, c'était l'un des facteurs qui avaient éveillé mon intérêt. C'est un film d'épouvante certes, mais réalisé par une femme boudiou.
Dans une industrie où moins de 10% des films sont l'œuvre d'une femme, je n'ai pas les chiffres mais je soupçonne que ça baisse encore pour ce genre précis.
Dès lors, on était en droit d'espérer une sensibilité différente, quitte à sombrer dans le sexisme primaire. Je ne parle pas d'un film délicat, précieux ou mièvre. Je parle d'un rapport différent à l'humain, et a fortiori à la maternité.
Il faut croire que le formatage est suffisamment bien effectué pour qu'une réalisatrice n'échappe pas aux facilités pachydermiques.

D'autant que le thème, que je ne connaissais absolument pas, aurait pu être bigrement intéressant.
[SPOILS]
On comprend aisément (il faut dire que ce n'est pas la subtilité qui étouffe le propos) que l'histoire gravite autour de la notion de deuil, et comment ce parcours peut être sinueux. La métaphore bourrine du spectre du mari qui vient hanter sa veuve m'a laissé béant de dépit. Parce que Jennifer Kent n'a pas jugé son public suffisamment intelligent pour se contenter de suggestions, nous amener délicatement à la conclusion que la mère imaginait tout cela suite au décès de son époux, qu'elle en faisait souffrir son fils.
Jusqu'au dénouement, où finalement l'acceptation survient, elle apprend à vivre avec cette ombre du passé, symbolique dégoulinante de l'ultime étape du deuil.

Ce personnage aurait pu demeurer une ombre qui plane sur l'héroïne. Le message en aurait été d'autant plus fort et, même pour ceux qui seraient malheureusement passés à côté, la dimension épouvante pure et dure du film n'en aurait été que plus intense. Idem pour l'image du défunt mari.
Je reste fermement convaincu que montrer les monstres atténue beaucoup la peur. Ce qu'on voit effraie moins que ce qu'on imagine, je ne pense pas apprendre grand-chose à qui que ce soit en disant ça.
Pire, je trouve le Babadook absolument ridicule. Son look, mauvaise imitation de plein de trucs déjà existants, sa voix qui essaie tellement d'effrayer qu'elle en devient risible, et même ses manifestations physiques avant de se déplacer en personne (le livre donc), tout cela manque tellement d'originalité et de caractère qu'on reste au mieux interloqués, au pire agacés.

Que la mère ait une première réaction instinctive en cherchant à se débarrasser du bouquin est totalement crédible. Que, lorsqu'il réapparaît, elle essaie à nouveau de le détruire (alors que c'est vraisemblablement impossible, elle le sait maintenant) avant de se rendre à la police enlève les dernières traces de cohérence.
Et non, désolé, ce n'est pas une manière habile de suggérer qu'elle sombre dans la folie. Pas plus que ses innombrables tentatives de prétendre que rien de tout cela n'est réel. J'ai l'impression que plus le temps passe, moins on s'intéresse à proposer une imagerie respectueuse et non-putassière de la folie.

Cette critique est déjà bien assez longue, je ne m'étends pas sur les nombreuses incohérences qui criblent ce film (la bouffe qui apparaît comme par magie dans le frigo, pour n'en citer qu'une). Quand le reste est suffisamment bon, on peut très bien s'en affranchir. Ici, en revanche...

Je conclus sur un aspect qui m'a énormément gêné.
Au début du film, la première lecture du livre montre des événements qui vont supposément se dérouler. Dès lors, mon appréhension a grimpé en flèche. Je reconnaissais humblement et du fond du cœur que c'était une démarche audacieuse (pour ne pas dire couillue). Seulement, à partir de là, il n'y avait plus que deux issues possibles : soit Kent suivait la trame qu'elle avait elle-même établie, et il y avait intérêt à ce que ce soit extrêmement bien fait, puisqu'on connaissait à l'avance la séquence des situations; soit elle trahissait le spectateur, un procédé que pour ma part je déteste, en jouant sur ce qu'il sait ou croit savoir.
Dans la lignée de la tiédeur du film, elle n'a même pas pris cette décision. Une partie des scènes décrites dans le livre s'est déroulée telle quelle, une autre partie sous forme édulcorée, quand le reste a purement et simplement disparu. Et l'ensemble est franchement mal exécuté.
C'est dommageable à plein de niveaux. Le rythme souffre, puisqu'on a l'impression de passer son temps à attendre. La concentration se relâche, tellement l'on est attentifs à guetter l'arrivée des moments-clé que l'on connaît, tant et si bien que l'on prête moins l'œil à ce qui est en train de se dérouler à l'instant. Et l'intensité dramatique de certains événements diminue énormément (par exemple la mort du clébard qui, non contente d'être annoncée et donc anticipée émotionnellement -on s'y attache moins-, survient BIEEEEEEN trop tard).

Bref, vous l'aurez compris, Mister Babadook n'a pas rempli son contrat, ni de drame psychologique avec une approche nouvelle du deuil qui tourne au pathétique, ni de film d'épouvante avec un monstre et des situations plus drôlatiques qu'effrayantes.

On attendra le prochain Conjuring (sans James Wan, malheureusement).

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le 13 août 2014

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SeigneurAo

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