Sokol disait récemment qu'on reconnait un très bon cinéaste au fait qu'il sait exactement quand il faut couper. Je ne sais pas si Loach est un très bon cinéaste, mais il parvient dans son dernier film à rendre le didactisme tranchant, à toujours aller au bout d'une scène même quand celle ci ne semble pas avoir vraiment commencé. Cela tient au rythme très doux du film : les scènes commencent souvent par un long silence, le son est en lui-même totalement atténué, les personnages ont toujours quelques secondes de respiration avant que la spirale kafkaïenne de la misère recommence. A bien des égards, cette sensibilité, cette douceur, m'ont évoqué le très beau film de Philippe Faucon, Fatima, dont le succès surprise a été beaucoup remis en question, mais dont je serai capable de me battre jusqu'à la mort pour défendre le fait qu'il s'agit bien de cinéma.
J'ai été surpris, vraiment, par l'efficacité du film : les décors ? pas important, presque pas de profondeur de champs. le son ? réduit au minimum. les raccords ? quelques fondus au noir feront l'affaire. Cela pourrait être agaçant si Loach ne parvenait pas à animer les corps et les visages de ses acteurs comme personne. Avec leur accent si particulier, leur émotion tenue, leurs yeux grands ouverts ; ils sont tous bouleversants. Parfois, le cinéaste les choppe même en un plan, et il parvient à dessiner une vie, une cassure intérieure, une propension au débat. A un moment, lors d'un cours de CV, Loach nous montre quelques personnes - ces personnes se mettent à rire, se moquant de la cocasserie de la situation. Et Loach saisit ce rire, très simplement, il le place furtivement dans son film, et toute une vie est crée - mieux : c'est l'affirmation d'une identité qui naît sous nos yeux, un peu comme quand Dave Johnes écrit : "I Daniel Blake" sur le mur. Je suis ce que je suis, et j'arrive quand même à rire.
On m'avait parlé d'un film manichéen : c'est un film digne, qui ne juge personne, où on ne parle que de résistance. Résister à la faim, résister au froid, résister à la solitude. Les frontières entre les êtres sont abolies, au Pôle Emploi, seules quelques minces feuilles séparent les bureaux, rendant tous les visages saisissables.
Maintenant, je rêve de voir Kes, car ce que Ken Loach sait le mieux filmer, ce sont les enfants. Très simplement, encore une fois, à leur hauteur, avec évidence. C'est eux qui détiennent la clé du monde, eux qui disent la vérité, eux qui rapprochent des adultes sur le point de se laisser mourir tout seul.
A un moment, un gamin joue avec un caddie sur un parking, sa mère l'appelle, on le voit courir, sortir du champs, et la caméra laisse le flou sur le sol du parking, pendant qu'on entend le bruit d'une traînée de feuille d'automne.
Moi Daniel Blake, ce n'est pas grand chose d'autre. C'est un autre monde qui est possible et même nécessaire, à côté de nous, et que personne, pourtant, ne voudrait voir. Loach nous en offre un bouquet, un aperçu bref de douceur (le film semble filer à tout allure), un précis de solidarité qui réchauffe le cœur mais aussi l'esprit