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Cannes a fait du Cannes. En tout cas c’est ce qui ressort de la victoire un brin contestée de Moi, Daniel Blake. Si les arguments sont légion pour en dire du bien, il n’y a pas de fumée sans feu et en l’occurrence défendre cette palme revient à attaquer à mains nu un transformateur EDF, ça fait des étincelles.


Pourtant le Ken Loach a plusieurs avantages, le plus important étant qu’il n’est pas ennuyeux. En fait, après le film des Dardenne tellement épuré que je parie qu’avec un téléphone et une dépression nerveuse n’importe qui fait pareil, Daniel Blake et son découpage précis, l’évolution de ses personnages, ses moments de gloire, sa musique un peu discrète mais bien présente apparaît à son plein potentiel : c’est un film honnête.


Sur la forme les qualités sont nombreuses, la caméra sait se placer en observatrice minutieuse sans tomber dans le voyeurisme, la mise en scène a quelques idées comme la première scène au téléphone avec un gros plan sur Dan et une voix anonyme bassinant un leitmotiv en devenir « j’y peux rien, je suis les consignes », montrant que derrière la procédure mise en cause (le système d’assurance maladie et de chômage anglais) se cache un homme, pas un simple numéro servant à remplir des statistiques d’étude de rentabilité. Reprise du titre, formule sortant l’anonyme de la masse passé la virgule encore plus percutante par l’unique I de la VO : I, Daniel Blake.


Arrive une croisade ordinaire commençant le plus tard possible, au jour où il se voit refuser l’assurance-maladie même s’il est cardiaque et que les médecins lui interdisent de reprendre son boulot de menuisier. On n’est pas devant un choix Cornélien mais bien pire : une impossibilité de choisir dans une réalité absurde. Cruellement absurde. Ken Loach a pris le meilleur angle d’attaque, un métier quasi anachronique (menuisier), un homme mûr et seul trop loin de la retraite, un gars bien né cinquante ans trop tard… Passéiste ? Sans hésiter. À cela on ajoute sa voisine et ses gosses, les voisins spécialistes en débrouillardise rappelant les précédents Loach, les visages d’un côté ou de l’autre de la marche implacable du Goliath administratif, résistant hésitant ou collabo caché derrière un bureau. Toute une galerie permettant à Loach de dégraisser le mammouth jusqu’à sa substantifique moelle : l’humain dans la machine.


Loin d’être une simple version dépressive de The Full Monty ou de sa « comédie » La part des anges, le script ayant fait sortir Ken Loach de sa retraite se déroule avec une fluidité relative sans se prendre les pieds dans son message politique (Aquarius, c’est de toi dont on parle). À l’opposé de la palme du cœur, Toni Erdmann et son appropriation du temps à son flot naturel (en gros 2h42 du film car le réalisme de Maren Ade est plus une question de timing que de montage) où l’on suit une femme qui a réussi son travail en passant à côté de sa vie, ici Dan perd son travail en étant un être achevé.


Je reprocherai surtout ces fondus au noir, manière fainéante de terminer une scène afin d’y enchainer la suivante presque comme une succession de tranches de vie sur un fil rouge virant au noir. J’avais dit à Willard le générique tout juste passé que j’ai eu l’impression que Ken Loach a lâché notre héros en haut d’une pente puis l’a filmé à chaque étape de sa descente jusqu’à ce qu’il s’écrase en bas ; même à froid je maintiens. Le choc façon baffe lente du destin de Dan a permis à certains d’ouvrir les vannes de la première à la dernière seconde, de mon côté c’est les yeux secs et le cœur serré que j’ai regardé défiler le générique d’une palme intimiste, portées par des acteurs investis, engagée voire politique certes, mais certainement pas indigne.

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le 2 nov. 2016

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