Si pour certains Moi, Daniel Blake aura été une palme d'or volée, pour d'autres une palme d'or amplement méritée, Moi, Daniel Blake aura été pour moi l'occasion d'enfin (peut-être) apprécier un film de son auteur à sa juste valeur.
Car ici, si Ken Loach continue de s'attaquer à la misère sociale de son pays, aux laissés pour compte (qui sont souvent la majorité), c'est dans un cas moins extrême que se porte cette fois-ci son choix. Loin des imigrés méxicains clandestins de Bread and Roses, loin encore de la jeunesse condamnée au gangsterisme de Sweet Sixteen, Loach se penche ici sur un cas plus palpable, celui d'un homme éponyme, confronté à l'administration.
Perdu dans les méandres de papiers à remplir, de documents à fournir, d'appels à passer, de stage auxquels participer, de semaines à attendre une décision arbitraire qui changera sa vie, Daniel Blake se fait l'incarnation de ces hommes et femmes qui subissent au quotidien l'absurdité d'un monde du travail en déliquescence. Daniel Blake, se fait sans le vouloir, leader d'une cause, comme le montre bien (quoiqu' assez grossièrement) la scène majeure du film, où dans un élan de rage, Dan tague le mur du pôle emploi anglais, manière de graver aux yeux tous de tous et pour longtemps sa condition qu'il partage avec trop de gens.
"Daniel Blake" pourrait passer dans le langage courant. Daniel Blake est un symbole
Dave Johns, avec ses petits yeux tristes et son accent puissant prète son corps à cette incarnation de la lutte. Il est superbe, et, à la place d'une palme d'or, le film aurait été mieux honoré si c'était son acteur principal qui avait été récompensé.
Daniel Blake est profondément attachant (alors que j'ai eu plus de mal avec le personnage de Katie, que le scénariste Paul Laverty semble avoir du mal à gérer, notamment dans sa relation indécise avec Daniel). C'est là la force majeure du film, d'où l'intelligence de son titre.
Ken Loach m'a semblé dans ce film plus percutant que dans ses précédents, qui m'avaient coulés dessus comme de l'eau sur les plumes d'un canard. Ici son message m'a semblé plus travaillé, aidé par des plans qui, à défaut d'esthétisme (malgrés quelques lumières et la pellicule, le film, parce que film de Ken Loach, est tour à fait inesthétique, voire laid ; mais on sait bien que l'on ne va pas voir un Loach pour ses qualités esthétiques...), débordent d'intelligence. J'en releverai deux, à titre d'exemple ;
- La queue qui semble ininterrompue de gens patientant pour accéder à la banque alimentaire, et dont Loach ne coupe pas la remontée par nos deux personnages.
- Lorsque Daniel est appelé pour son rendez-vous au Pôle Emploi, et que sa chaise vide est instantanément occupée à nouveau. Sans analyse, le plan peut paraître inutile (Daniel se lève, Loach continue de filmer quelques secondes un homme venant s'y installer à sa suite). Mais c'est bien sûr assez finement que Loach a décidé de garder cette image pour faire comprendre, d'une part, que Daniel Blake n'est qu'un parmi tant d'autres (chaque rue a son Daniel Blake) mais surtout pour nous faire sentir le flot ininterrompu de demandeurs d'emplois, une chaise de la salle d'attente ne pouvant rester vide plus de quelques secondes.


Si la seconde partie perd de la puissance que le film réussissait à déployer dans sa première (la force à un message moins fin et plus explicite), la fin, qui quoique facilement anticipable et loin d'être surprenante (empêchant par là réelle émotion de nous atteindre), est absolument superbe, grâce à un dernier plan accompagné d'un discours d'une implacabilité terrible qui résonne encore, une fois la lumière rallumée, comme un énorme "coup de point final", aidé par la froideur et la gravité stylistique dont Ken Loach fait preuve pour clore son film.

Charles_Dubois
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le 21 nov. 2016

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Charles Dubois

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