Est-ce qu'une seule nuit peut changer le cours de toute une vie ? C'est la question que se pose Jean-Paul Civeyrac pour son héroïne - tirée du roman de Doris Lessing "Victoria et les Staveney" - Victoria, jeune femme noire ici transposée dans notre monde moderne. Une nuit alors qu'elle a environ 10 ans, Victoria se rend dans l'appartement d'une famille plutôt riche qui l’accueille en son foyer alors que sa tante est malade. La petite fille passe d'un univers miteux au luxe des beaux quartiers, tout lui paraît impressionnant et puis elle ressent aussi un émois amoureux pour le grand frère de la famille : Edouard. Ce dernier milite pour les droits de l'Homme hors de Paris, mais a du mal à croire que la petite fille qu'il doit récupérer et garder ce soir-là puisse être noire. Le premier rendez-vous entre ces deux êtres est donc raté. Le reste de la vie de Victoria sera à cette image : un rendez-vous raté avec la vie, les choix, la détermination. Tout ce qui arrive à Victoria n'émane pas d'elle, mais des autres. Elle ne se bat pas, renonce vite. Elle ne prend que deux-trois vraies décisions, qui la dépossèdent totalement : celle de garder son bébé, celui qu'elle a eu des années plus tard avec Thomas - le frère d'Edouard - puis celle de le présenter à ce père dont elle est séparée, mais seulement 7 ans après sa naissance. Elle décidera aussi d'arrêter ses études et de vivre de petits boulots qu'elle ne choisit pas vraiment. La famille d'Edouard et Thomas accapare l'enfant, lui donne tout et même plus que ce dont elle a besoin. Victoria est à côté de cette vie-là, comme son deuxième enfant : un fils noir (et pas métisse comme sa fille - là est le problème pour les bourgeois qui s'entiche de la gamine) qu'elle a eu avec un mari aujourd'hui décédé. Lui ne veut rien devoir à cette famille qui n'est pas la sienne, et craint cette sœur qui lui échappe, et qui comptabilise amour, attention, beauté et richesse pour elle toue seule. Victoria enfant avait rêver que sa tante meurt pour posséder une maison à elle toute seule. C'est arrivé, mais la seule maison qu'elle a gardé est une grande maison de poupée en carton qu'elle ne cesse de promener pendant tout le film. Il s'agit du seul héritage de sa mère, qu'elle a très peu connue. On la verra d'ailleurs faire plusieurs fois le trajet vers l'appartement qu'elle a tant admiré enfant, et la voit rejoindre une dernière fois pour y laisser sa fille.
Pour raconter cette histoire et la vie de Victoria, Jean-Paul Civeyrac a recours à la voix-off, celle de la meilleure amie et sœur d'adoption de Victoria, qui ne comprend pas toujours ses non-choix. Cette voix-off omniprésente, si elle dépossède un peu plus Victoria et tend à camper l'héroïne plus solidement, agace aussi par sa redondance et son omniprésence. Les images perdent ainsi de leur force, on a l'impression d'un roman lu auquel on a ajouté de belles images. Manque un souffle au film, qui pêche par son rythme. Autre problème : les acteurs, pas tous justes, qui parfois donnent l'impression de ne pas croire en ce qu'ils disent (sauf l'éclatant Pascal Greggory très à l'aise dans son rôle de grand-père et homme de théâtre). C'est certainement parce que le film, qui veut parler de lutte des classes, est très convenu. On peine à comprendre ce que Civeyrac veut dire en transposant ce récit aujourd'hui, en plaquant les problèmes de l'héroïne au 21 siècle. Certaines scènes paraissent alors très démonstratives, et presque surréalistes tant elles prennent des postures. On pense notamment à cette scène où Victoria travaille dans une boutique de luxe et regarde à travers la vitrine un jeune homme se faire contrôler sans raison... On a compris déjà depuis longtemps que Victoria se sent étrangère dans son propre pays, jamais acceptée nulle part et dépossédée de ses actes. Autre scène : quand Victoria rencontre son futur mari, celui-ci se fait bousculer et insulter du fait de sa couleur de peau, il devient violent et fait fuir son "agresseur". Rien ne suit cette scène, sauf quelques discours convenus - et trop peu audibles - sur la situation des étrangers, l'acceptation de son identité. Pourtant demeurent de belles images, sans voix off, de la pluie qui tombe et de Victoria qui attend que la vie passe, sans aller contre le vent.