Les familles bien sous tous rapports, bien intentionnées à l’égard des immigrés, bien installées dans la vie et dans le monde (dans cette partie du Monde) ce n'est pas en soi un sujet cinématographique. Mon amie Victoria illustre, par touches justes ce confortable milieu. Un beau film, de Jean-Paul Civeyrac, qui décrit avec finesse et sans jugement leur bonne conscience.

Inspiré d’un roman, écrit d’un seul trait, par Doris Lessing, le réalisateur a pris suffisamment au roman et suffisamment de sa créativité pour nous raconter une histoire de la France d’aujourd’hui. C’est une petite fille de six ans, dont la tante est hospitalisée en urgence qui doit être prise à la sortie de l’école par un garçon de treize ans, bien élevé, chargé par sa mère de l’accompagner à la maison. De cet acte de solidarité organisé par l’école, cette jolie petite fille, Victoria, va garder un souvenir pour toute sa vie. Elle, une enfant noire sera accueillie dans une très grande et belle maison, entre la sortie et le retour à l’école le lendemain matin. Et un grand et beau garçon blanc va lui préparer le dîner et va la coucher dans la chambre de son petit frère, Thomas, parti dormir chez un copain. Chambre immense, pleine de peluches, d’images, de jouets qui l’attirent et lui font peur…

Un « palais » dont le salon est plus grand que le logement où elle vit avec sa tante. De ce choc «heureux» Victoria va construire, sans le vouloir vraiment, le rêve d’un autre devenir qui sera l’ambition d’un lieu pour elle.

Quelques années plus tard, alors qu’elle a perdu sa tante et a été accueillie par une amie de la famille qui deviendra sa ‘tante de cœur’ et qui a une fille de son âge qui deviendra sa ‘sœur de cœur’, elle rencontre dans le magasin où elle travaille le garçon de la belle maison, celui de la chambre où elle a dormi, Thomas. Ils se reconnaissent, se fréquentent, font l’amour et quand ils se séparent à la fin de l’été, forcément des chemins différents, elle est enceinte et décide de garder l’enfant sans en informer le père. Et ainsi est née Marie.

Tout ceci nous est raconté avec délicatesse, sans exagération, sans forcer le trait, même si la violence sociale se déroule devant nous. Victoria trouve un beau musicien noir, ils se marient et elle lui ‘donne’ un bel enfant. Un accident dû à la vitesse lui ôte son amour et elle se voit confrontée à élever seule ces deux enfants. S'interrogeant sur l'avenir qu'elle leur procure, elle décide d’appeler le jeune père. La famille bien sous tous rapports, fait un accueil enthousiaste à la petite fille de Thomas «j’ai toujours eu envie d’un petit-enfant noir» s’extasiera la grand-mère. Progressivement Marie sera prise en douceur et d’un dimanche après-midi, passe à un week-end, ensuite un mois de vacances jusqu’à la proposition de changer d’école pour une ‘meilleure scolarité’, voire l’internat à l’âge de treize pour des études sérieuses…

Et c’est là que nous percevons cette bonne et bien intentionnée attitude des beaux parents qui aiment tellement Victoria, parce qu’elle leur a donné une splendide petite Marie. Couleur chocolat ou caramel, mais ils sont tellement libres, tellement libéraux, tellement ouverts à l’humanité. Ma voisine au cinéma, me disait à la fin bel exemple de la lutte de classes. Je serai un peu moins guerrier, il n’y a pas de lutte… mais il y a bien la différence de classe. Assumée avec adresse par les gens de bien, subie par Victoria, prise entre le désir d'un devenir assuré par les autres pour sa fille et l'avenir incertain mais fidèle pour elle et son petit garçon.

Le choix du scénariste et réalisateur de faire raconter l'histoire de Victoria par sa presque-sœur qui veut écrire un livre, est un peu déroutante dans les premiers moments mais finit par nous attacher, comme un hommage à Doris Lessing, le livre dans le film. Le personnage de Victoria (Guslagie Malanda), souvent dans le silence de l'observation qu'elle mène sur son propre mouvement, c'est comme si elle assistait au déroulement de la vie, de sa vie, des événements qui la submergent. Dans ce sens le récit de Fanny (Nadia Moussa) apporte un contre-point aux images, comme si elles s'interrogeaient mutuellement. Les préjugés des personnes bien intentionnés, que le film nous livre parfois en légèreté peuvent paraître incongrus, mais ils ne sont jamais caricaturaux.

La question de savoir si un film est fidèle à un livre me paraît toujours peu pertinente. Le roman vit par lui-même, un film aussi. Si un réalisateur s'inspire d'un roman, c'est son travail de scénariste, de réalisation, de direction d'acteurs, de montage qui feront nous intéresser pour l’œuvre cinématographique.

Je ne parlerais pas de comparaison. Une histoire se déroule à Londres (publiée en 2010), celle du livre alors que le film est parisien, sorti quatre ans plus tard. Ce court roman est à l'affût des contradictions, des malentendus, des inégalités qui s'expriment souvent sans affrontement, par un geste, un regard, un échange anodin. La façon dont est décrite la société anglaise, on perçoit bien le conflit racial, l'hypocrisie, les accommodements qui font taire celui qui est différent dont le corps social se charge de remettre à sa place, celle d'en bas. Ce livre retrace bien le combat que Doris Lessing a toujours mené comme écrivain engagée.

Le livre de Doris Lessing, est peut-être de ce point de vue plus incisif. Le film de Jean-Paul Civeyrac n'est pas moins percutant dans sa démonstration de la complexité de vouloir "son" bien pour les autres.
ArthurPorto
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le 6 janv. 2015

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