Ce huitième long métrage du français Jean-Paul Civeyrac, sorti le 31 Décembre 2014, a conclu en délicatesse l’année qui vient de s’écouler. Adapté de « Victoria and the Staveneys », une des nouvelles de Doris Lessing rassemblées dans le recueil « The grandmothers », dont a également été tirée la nouvelle éponyme servant de base au film Perfect mothers d’Anne Fontaine, transposé à Paris, le métrage raconte l’histoire de Victoria, une jeune fille noire, française mais semblant étrangère en son pays, semblant étrangère même à sa propre vie.

Son histoire est racontée en voix off par son amie Fanny (d’où le titre), ce qui n’est pas le moindre des charmes de ce film. Le cadre « bobo parisien de gauche » remet en effet dans un contexte très actuel ce beau texte littéraire cité pratiquement tel quel dans le film. On a comme un léger décalage entre la littérature de la nobélisée Doris Lessing et l’image plus terre-à-terre du film, ce qui donne un ton singulier à l’œuvre, en permettant une lecture plus riche de ce qu’on voit à l’écran. Au lieu d’affadir le texte, cette mise en perspective donne au contraire envie de lire ou relire le livre de Doris Lessing, tant la musicalité de ses mots est mise en avant par Jean-Paul Civeyrac. Pour autant, les images ont leur propre puissance, dans cette histoire de conscience de classe où les choses matérielles, l’espace de vie, les lumières tamisées, les mets servis à table, les jouets dans les chambres définissent l’appartenance ou la non-appartenance sociale.

Tout commence quand Victoria, 8 ans, se retrouve seule devant son école, stoïque quand le jeune Edouard, le grand frère d’un de ses camarades de classe Thomas n’est pas venu la rechercher. Plus exactement, il est venu, il ne l’a pas vu, elle qui est pourtant aussi visible que le nez au milieu de la figure. Victoria habite chez sa tante malade et admise à l’hôpital pour quelques jours. La maman de Thomas et d’Edouard s’est proposée pour la garder une nuit. Edouard a des aspirations nobles, des idéaux tiers-mondistes comme ses parents, militant pour la justice dans le monde, mais il ne voit pas ce qui est sous ses yeux, il n’avait pas imaginé que la petite fille qu’il attendait c’est précisément cette petite noire…

Cet épisode fonde le film, mais il fonde surtout Victoria, découvrant un univers qu’elle n’imaginait pas pouvoir exister, prenant conscience de puissances et de pouvoirs qu’elle ne se sent pas en mesure d’accaparer, la façonnant peut-être à devenir cette jeune fille, puis cette femme qui laisse la vie glisser sur elle sans réelle envie d’avoir prise.
Victoria découvre aussi autre chose, un sentiment très diffus, elle n’a que 8 ans, mais un sentiment nouveau engendré par la présence d’Edouard, par l’existence même d’Edouard.
Le film est fait de petites touches de vie et de sensation, et avance par ellipses simples mais intelligentes. Avec toujours ce texte qui nimbe l’image d’un voile poétique et romanesque. Victoria évolue, mais régulièrement, ses pas reviennent vers les Savinet, son miroir aux alouettes. A défaut d’avoir Edouard, avoir Thomas, avoir une enfant de lui. A défaut d’avoir une bonne vie, révéler l’existence de la petite Marie à une famille qui assurerait son avenir…

Victoria est mystérieuse, on ne connaît pas ses motivations, elle ne nous dit pas grand-chose, la voix off non plus. Le décès de sa mère puis de sa tante en font une déracinée précoce qui ne se sent bien presque nulle part. La mélancolie et la solitude qui semblent constamment l’envelopper sont très bien illustrées par cette actrice à la voix douce presque éteinte, au physique fragile et menu, et dont le personnage jamais ne part en larmes ni en éclats de rire. Le choix des autres acteurs est tout aussi judicieux : Catherine Mouchette et Pascal Greggory font de parents et de grands-parents convaincants, à la fois compréhensifs et condescendants, un peu à la limite de la caricature, et Fanny (Nadia Moussa) fait un bon contrepoint à son amie Victoria, aussi pragmatique que Victoria est rêveuse…

Sous ses dehors d’histoire simple, romanesque par construction, Mon amie Victoria est un film censé nourrir la réflexion sur cette conscience de classe, précisément. Marie, la petite fille métisse, cristallise tous les fantasmes de cette famille bien sous tous rapports. Mais justement, on pourrait reprocher à Civeyrac d’avoir édulcoré le propos et rendu ses protagonistes trop lisses et trop aimables. L’hypocrisie de la famille, sa volonté d’accaparement de la petite Marie, la relative inconséquence de Victoria, le désarroi de son autre fils Charlie, totalement transparent aux yeux de la famille de Marie, tout cela est évoqué, mais à peine effleuré, le souci du réalisateur ne semblant pas être de dénoncer, mais de rester dans la veine romanesque, voire mélodramatique par moments…

Comme le soleil rasant et automnal de sa dernière séquence, Mon amie Victoria est un film porteur d’une douceur, d’une délicatesse, d’une sorte de minimalisme, qui laisse malgré tout une empreinte sur le spectateur ; si bien qu’il finit par se sentir en empathie et même inquiet pour cette fragile Victoria…
Bea_Dls
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le 14 janv. 2015

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Bea Dls

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