Après Jeux d’été, tourné deux ans plus tôt, Bergman retourne au bord de la mer pour filmer Monika, une autre histoire d’amour entre deux adolescents.
Mais cette fois, son style est plus moderne et annonciateur de la nouvelle vague française. Alors que le début fait plutôt penser au néo-réalisme italien, avec un ancrage social marqué et une description du quotidien de Harry, un jeune garçon livreur et de Monika, vendeuse dans un centre d’alimentation, qui peinent à entrer dans le monde du travail et vivent encore chez leurs parents, le film bascule ensuite vers un appel au grand large où les protagonistes larguent littéralement les amarres pour aller vivre d’amour et d’eau fraîche sur une île près de Stockholm. Ils sont en rupture avec la société traditionnelle et vont vivre, le temps d’un été, dans une sorte de paradis terrestre en harmonie avec la nature.
Mais la réalité va vite les rattraper, si bien que l’eau fraîche va se transformer en un "Encore des champignons !" de Monika, au point que les deux tourtereaux devront aller voler de la viande et des pommes dans une villa bourgeoise des environs, histoire de changer leur ordinaire. L’amour va quant à lui faire que Monika va tomber enceinte et que les deux amoureux vont devoir penser à l’avenir. S’ils rêvent tous deux de mener une vie sans chichi, lui travaillant pour subvenir aux besoins de la petite famille, elle s'occupant des tâches ménagères, Monika a trop besoin de fantaisie et de belles robes pour se sentir belle pour se cantonner à un rôle de femme au foyer.


Elle est même une sacrée mauvaise fille. Une vraie gamine qui chouine quand elle ne sait plus quoi faire d’autre, qui séduit, manipule et trompe Harry, pour finalement le laisser à son triste sort et en l’engueulant en prime, quand il découvre qu’elle le trompe. Elle le provoque même encore, pour qu’il la batte et qu’elle puisse pleurer.
Evidemment, ce coté négatif de Monika fait l’originalité du personnage et du film, mais il est quand même trop flagrant pour être honnête. Pourquoi tant de noirceur chez une si jolie fille ? Et tant de candeur du coté du garçon ? Y aurait-il une part autobiographique dans cette histoire ?
A mon avis, le scénario aurait pu être plus nuancé dans la responsabilité de chacun, à moins que Bergman ait voulu dresser une mise en garde aux hommes du monde entier : méfiez vous des petites suédoises brunes et girondes, ce sont de vraies femmes fatales ! ;-)


La photo est très belle et la nature joue un rôle narratif important . Nature resplendissante pendant l’idylle, soleil radieux, ciel clair, lors du départ, ciel de plus en plus nuageux au cours de l’été et très plombé lors du retour à la tombée de la nuit, préfigurant un avenir plus incertain.
Et puis ce fameux regard caméra de Monika, annonciateur de la chute après le paradis. Pas mal ! Un regard d’abord enjoué, puis virant au triste, avec le fond qui s’obscurcit peu à peu : bel effet, très éloquent.
Pour moi, Monika n’est pas au niveau des plus grands Bergman, mais n’en demeure pas moins très intéressant, beau plastiquement et Harriet Anderson fait forte impression. Lars Ekborg, plus en retenu, est lui aussi très bien.
A noter qu'à sa sortie en Suède, le film a été considéré comme "érotique" et interdit aux moins de 16 ans, alors que pourtant lorsque les deux amoureux passent leur première nuit ensemble, la caméra s'écarte pudiquement du lieu des ébats et que l'on ne voit en tout et pour tout de la plastique d'Harriet Anderson que, subrepticement, son derrière nu et qu'on entrevoit presque de façon subliminale, les trois quarts de la moitié d'un morceau de son sein gauche. En fait c'est l'affiche aguicheuse qui a dû inciter les censeurs à prévenir les âmes sensibles aux yeux chastes de détourner leur regard pur de ce comble de la lubricité qu'était à l'époque le film de Bergman.

Roinron
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le 24 avr. 2017

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Roinron

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