« Monsieur la souris » est plaisant à bien des égards, assez basique dans sa conception, il mêle habilement humour, intrigue policière simpliste, et laisse libre court aux cabotinages de Raimu, donnant à ce clochard une formidable amplitude physique et comique qui semblait manquer dans le texte initial.


Le film est aussi le reflet d’une époque. Nous sommes en 1942, la France est occupée. Beaucoup d’artistes ont fait le choix de s’exiler (Etats-Unis, Grande Bretagne…), d’autres de rester et de continuer à tourner. Il est produit par « La Continentale », firme créée par Goebbels en 1940 afin de garder la mainmise sur la production européenne, et autorisant simplement des œuvres au « caractère purement local ». Sous entendu, anodins pour le régime nazi, et divertissants. Pas de mort à l’écran notamment (sauf héroïques). C’est assez habilement que Georges Lacombe détourne ce principe, lors d’une scène se passant à la morgue, le premier corps est montré en ombre sur un mur, le second, lors de la reconnaissance, caché aux yeux du spectateur par une cloison.


Même s’il est oublié aujourd’hui, « Monsieur la souris » disposait à l’époque d’une bonne équipe, Raimu bien évidemment, mais aussi George Auric à la musique (à qui l’on doit par la suite notamment les partitions de « La belle et la bête », « Moulin rouge »), Marcel Achard aux dialogues (auteur de théâtre et scénariste, « Madame De » entre autre) ou encore le décorateur Jacques Krauss (« La belle équipe », « Pépé le Moko »…). C’est un film de studio par excellence, peu de lieux extérieurs (une belle scène toutefois dans le Parc du Champs de Mars), avec ce petit charme désuet des toiles peintes servant de fond aux fenêtres.


La mise en scène quant à elle est pour le moins des plus sommaires, assurant le minimum syndical tout en restant convenable.


Le casting dominé par Raimu (quand il n’est pas à l’écran l’intérêt s’estompe) est pour le moins conventionnel, un Pierre Jourdan tout aussi « classe » que son frère, Aimé Clérimond l’archétype de l’homme d’affaire de l’époque, monocle compris, une Marie Carlot au phrasé théâtral se la joue à la Bette Davis et le reste qui se compose quelques « gueules » bien trouvées. Rien que du très classique dans ce genre de film.


Mais le charme opère. Le personnage de « La souris » se révèle assez complexe. Ex professeur de solfège qui s’est fait berné par l’amour au point d’en être ruiné, rêve de retrouver la vraie vie. C’est toute la dualité entre son honnêteté (« innée » comme on dit dans le monde) et la nécessité (gagner un peu d’argent) qui le pousse à agir. Tantôt sournois, tantôt benêt, La souris est avant tout quelqu’un de foncièrement juste et naïf. Raimu lui rend toute sa noblesse et son intégrité. Cette adaptation de l’œuvre de Simenon, ne tient que par les dialogues de Marcel Achard, on ressent ici toute son expérience d’auteur tantôt de Boulevard, tantôt dramatique, où ironie et gravité font mouche. On retiendra de fait quelques bonnes scènes, celle où « La souris » le looser s’essaie maladroitement au bonneteau, celle de la morgue ou encore l’interrogatoire où Raimu présent témoin ne se prive pas de commenter.


Enfin, la vraie perle de ce film, est sans doute l’affiche de Bernard Lancy (affichiste de « La grande illusion », « La kermesse héroïque »…), véritable petit bijou de style art nouveau de noir et de gris ponctué d’éléments rouges, où Raimu pose magistral avec son parapluie. Toute l’essence du film y est !


Cette comédie policière au charme d’antan n’a pas marqué les annales hier, ne le fera pas plus demain, mais elle est bien agréable à regarder.


Georges Lacombe est aujourd'hui oublié, pourtant, il est l'auteur d'un premier film saisissant, un documentaire de 1928, "La zone au pays des chiffonniers", véritable témoignage anthropologique d'un Paris qui n'existe plus (physiquement s'entend) mais dont les images qui font écho à la misère, résonnent cruellement encore (hélas) de nos jours...

Fritz_Langueur
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le 21 sept. 2015

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