Monty Python - Sacré Graal ! par reno
Puisque le son entrechoqué de deux demi-noix de coco suffit à vous faire croire au galop d'un cheval, autant vous laisser penser que deux hommes sans cheval mimant le galop, cognant entre elles deux moitiés de noix de coco sont des chevaliers montés. L'humour tout en distanciation des Monthy Python est ainsi exposé immédiatement. Le dialogue qui suit entre le chevalier et son écuyer sur l'origine des noix susmentionnées et de la migration des hirondelles en signifie l'extrémité perverse de la dérive. Au contraire d'une ironie qui, mettant à distance le réel, interroge notre rapport au monde, pour qu'en sorte une réflexion ayant trait au vrai, l'humour institut l'absurde en norme et en pousse loin les conséquences et les potentialités. Où l'ironie se développe dans le cadre de la raison, fondement ultime de l'adhésion au monde, l'humour met en faillite ce dernier bastion.
Sacré Graal reprend le cycle celtique arthurien et il n'est pas anodin que des britanniques n'aient d'autres recours de traitement que l'humour, manière de conquérir un territoire qui n'est pas le leur en vue de se l'approprier, que ne suffirait à justifier une coïncidence géographique au regard de l'histoire, manière de rappeler que les Angles vainquirent les Celtes – amusons-nous.
Alors le film embraie sur une série d'épisodes dont la succession évoque moins le sketch qu'elle ne multiplie les potentialités humoristiques d'un même parcours qui est proprement la revisite de la légende et la dérision de l'esprit courtois. Chaque épisode ou bien revêt les apparences initiales de son avatar dans la légende, immédiatement identifiable, pour s'en mieux démarquer par une issue absolument inattendue et loufoque (le Chevalier noir, la libération par Lancelot du chevalier prisonnier des femmes, les chevaliers du Nee, etc.) ; ou bien immédiatement en décalage, un élément d'un même contexte identifiable est modifié en une incongruité (le prince dans la tour) ; dans tous les cas, l'humour pousse les positions de chacun à aller au bout de leur potentiel et dans la folie de leur élan, déchaîne le rire par le choc de leur abomination ou de leur incommensurable. C'est ainsi que Sacré Graal peut encore paraître surréaliste puisqu'il y a bien collage et rencontre d'éléments a priori disparates, choc de mondes. Ainsi le siège du château français, qui convoque plusieurs degrés d'absurdité, de la loufoquerie à l'erreur dans la mise en pratique d'un raisonnement. C'est que la raison est systématiquement prise en défaut comme dans la première scène, au moment du procès de la sorcière, ou lors du passage du pont. Tout est totalement absurde et tout est menaçant, il n'y a aucune certitude, c'est le régime du délire, de la folie, et il y a bien à force une inquiétude devant les Monthy Python, un moment où l'on se fatigue de rire.
L'intervention de la police à la fin du film est la réponse à la scène d'introduction. Par un surcroit d'absurde, alors qu'on ne s'y attend plus, que nous nous sommes accoutumés à l'univers, l'illusion transparaît et l'artifice se dénonce. Derrière l'humour toujours siège en maître un fondement qui veille contre la folie, la vraie. L'humour n'est qu'un jeu de l'esprit, sitôt fini, l'ordre reprend ses droits, qui garantit l'espace du jeu.