Bon. C’était à prévoir.

Déjà que nous faire poireauter 6 ans avant de nous servir enfin la suite de Spectre (qui aura évidemment eu le temps de changer de réalisateur, de scénaristes et de script dans le processus) avait de quoi nous mettre la puce à l’oreille, voilà qu’en guise de conclusion de la période la plus longue — 15 ans ! — de l’homme en smoking, les producteurs nous refont le coup d’un film étiré à outrance, beau mais vide, conceptuel et chiant.

Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder l’évolution de Bond sous les traits de Daniel Craig : en 2006, on nous réintroduisait le personnage dans une version plus jeune, plus brutale, plus geek (exit Q, l’agent n’a plus besoin de personne pour pirater un système informatique ou s’approprier des informations confidentielles), plus portée sur la boisson et enfin plus torturée, au point de partir en croisade vengeresse suite à une peine de cœur ; ce qui était certes couillu mais nécessaire à sa genèse de séducteur compulsif sans état d’âme.

Passés deux films (dont une suite décevante mais qui conserve le mérite de rester cohérente avec cette réécriture), on a retiré ce qui faisait le sel de cette nouvelle version, pour ne garder que le côté soiffard et vulnérable. Résultat : de Bond amoureux et alcoolique qui défouraille à tout-va et règle ses comptes toujours à 100 à l’heure, on passe à Bond vieux, dépassé, alcoolique, chiant comme la mort avec un traumatisme d’enfance, puis Bond vieux, dépassé, alcoolique, chiant comme la mort qui affronte un ennemi avec un traumatisme d’enfance, à Bond vieux, dépassé, amoureux, alcoolique, chiant comme la mort, qui affronte des ennemis avec des traumatismes d’enfance et…

s‘improvise père de famille par-dessus le marché.

Fallait-il s’y attendre ?

Le problème depuis Skyfall — que tout le monde n’aura eu de cesse de porter aux nues comme l’apothéose de la période Craig alors que c’est pourtant bien là que ça a commencé à sévèrement déconner — c’est que de films ayant pour objectif de divertir avant tout, on est passé à films où le concept prime sur l’histoire. Soit, admettons. Mais de quel concept parle-t-on au juste ? Ici, à part de ressusciter la saga juste pour te la montrer en train de crever

et pas seulement de crever, mais comme je l’ai lu si bien écrit dans une autre critique, de se faire désintégrer à coups de missiles afin de bien assurer au spectateur qu’il n’en reste plus une miette

, quel message doit-on retenir ? Qu’on meurt tous un jour ? Que personne, pas même les icônes cinéma, n’est éternel ? Qu’il faut prendre le temps de vivre au lieu de louper le coche et de se laisser partir à petit feu ? Ah oui, ça tombe sous le sens, surtout quand on choisit de passer We have all the time in the world de Louis Armstrong dans le générique de fin pour bien appuyer le propos.

Sauf que l’attente aura été longue.

Et comme l’aura fait remarquer, à raison, une de mes connaissances au sortir de la salle, autre chose que les producteurs actuels semblent tenir en haute estime consiste à inverser le principe de la pierre philosophale, à savoir se donner du mal pour transformer l’or qu'ils ont entre les mains, au mieux en un néant abyssal, au pire en un beau paquet de merde.

Le sacro-saint gun barrel ? Enlevez le sang, ça fait mauvais genre (d’ailleurs Bond est le seul que vous verrez saigner au bout de 2h40).

Rami Malek en méchant ? Faites-en un énième « petit gars en colère » (vrai dialogue du film) défiguré et plus absent que présent, avec un prénom biblique et un patronyme de tennisman Moscovite.

Ana de Armas et Lashana Lynch en James Bond Girls ? Faites-en, pour l’une, une acrobate comique de circonstance présente le temps d’une seule scène (quoique chouette) et pour l’autre l'objet d'une polémique aussi racoleuse qu'inutile avant même la sortie du film.

Félix Leiter ? Réduisez-le au rigolo de service tout juste bon à se faire avoir par le méchant-rigolo-de-service-tout-juste-bon-à-subir-le-même-sort-que-Michael-Gothard-dans-For Your Eyes Only.

Quatre – oui, QUATRE – modèles différents d’Aston Martin ? Insistez seulement sur la plus connue de toutes et n’accordez qu’une seconde ou deux de temps d’écran aux trois autres pour le placement produit.

— "Mais, et la traditionnelle séquence de course-poursuite ?
— La quoi ? Boarf, mettez quelques Land Rover, c’est moins sexy mais au moins quand le spectateur les verra faire du tout-terrain, on pourra toujours dire que c’est pour de vrai !"

La musique ? Prenez une minette de 17 ans bien en vogue pour la pub et faites-lui chanter un truc dépressif pas du tout raccord avec un générique désuet et WTF pompé sur Dr No ; quand au reste de la BO, prenez le compositeur du dernier vrai âge d’or d’Hollywood et faites-le se recycler encore plus que d’habitude, en particulier sur la scène finale (car quand il s’agit de faire pleurer les violons, nul ne le fait mieux que Hans Zimmer, c’est bien connu).

Le repaire du méchant ? Faites-en un croisement entre celui de Dr No (encore) et un bon gros truc archaïque à la Skyfall, même si ce dernier nous a déjà prouvé que ça ne prend plus.

— "Et qui le tiendra ?
— Des Russes, pardi ! Quand il s’agit d’endosser le mauvais rôle dans James Bond, nul ne le fait mieux que les Fromages et les Ruskovs, c’est bien connu.
— Mais on est en 2021…
— Ta gueule, c’est moi qui paye les factures."

Etc, etc.

Contre toute attente, les meilleurs aspects du film émergent là où l’on les attendait le moins : Daniel Craig tire sa révérence avec justesse, Léa Seydoux s’en sort bien et ce n’était pas gagné d’avance, Christoph Waltz ne se montre que le temps d’une scène mais arrive à nous faire croire à un adversaire infiniment plus pervers et sournois que le soi-disant vrai antagoniste du film (d’ailleurs seule l’introduction et le tout dernier acte du film gravitent autour de ce dernier, ce qui n’aide pas) et les seconds rôles trouvent leur compte en la personne de Ben Whishaw, Naomie Harris et surtout Ralph Fiennes, sans doute le seul à exprimer de véritables émotions face au dénouement pas si inattendu.

Du reste, que retenir de plus de toute cette attente ? Une belle photo, une scène d’action sympathique à Matera, une autre à Cuba et un porte-flingue affublé d’un œil de verre qui connaît une fin créative (ça en fait au moins un).

Mouais. Ça valait bien le coup.

Rest In Pieces, James.

reastweent
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste La musique est plus mémorable que le film en lui-même.

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le 22 févr. 2023

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reastweent

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