Un exemple parfait du cinéma étasunien uniformisé

Mourir Peut Attendre


Le dernier James Bond, exemple parfait du cinéma étasunien uniformisé.


La grande salle noire, encore éclairée par quelques lumières, se remplit. Les places libres se raréfiant petit à petit, les lumières s’éteignent et la séance commence. Tous les yeux rivés vers le dernier opus de James Bond qui présentera Daniel Craig. Pourtant, même certains fans seront déçus. Le film est un produit de consommation, qui ne présente pas un grand intérêt en tant qu’œuvre.
Mais son analyse est fascinante puisque ce long-métrage regroupe tout ce qui représente la nouvelle industrie de Hollywood.


FORME - IMAGE : couleurs, étalonnage, photographie, texture, mise en scène…


Qui dit film d’espionnage dit tons froids mis en avant : cela renforce le côté sérieux. Cela peut parfois faire beau, produisant de belles images, notamment avec le froid, en forêt… Parfois, c’est trop, ça n’est pas original, on n’y voit pas vraiment bien, et ça n’a pas d’intérêt. Il est compréhensible que cela soit plus convaincant, mais à force que cela soit la norme incontestable pour toutes les productions de suspense / enquêtes, ça ne sert plus à rien.


Qui dit film étasunien de grosse production dit « teal and orange » : ce contraste fait la beauté de l’image, et fait ressortir les visages. Ce qu’on appelle teal and orange (encore de l’anglais !) est le fait pour une image de faire saturer les couleurs bleues et oranges, ou de les utiliser dans un éclairage, toujours en tant que couple de nuances. Ce contraste est efficace puisque le bleu et le orange sont, sur la palette des couleurs, des couleurs opposées, critère de beauté qui a plus ou moins toujours été en vogue. Le problème est que, primo, cette opposition est utilisée à outrance et de manière à en devenir ridicule dans le film, surtout vers sa première heure. Secundo, elle est omniprésente, non seulement dans cet opus de James Bond, mais dans toutes les productions récentes. Il suffit de voir les dernières affiches (de la décennie passée) pour constater à quel point elle est en vogue. Sa présence n’est pas un défaut, mais si elle est absurdement utilisée tout au long de l’œuvre, non seulement ça ne sert à rien, mais c’est surtout médiocre, c’est un choix de facilité. Il est temps d’en finir avec le teal and orange, et Mourir Peut Attendre en est une excellente démonstration.


Qui dit James Bond dit scènes d’action : et dans cet opus, le bilan est partagé. Certaines scènes sont vraiment à revoir tant elles sont irréalistes, illisibles et très peu cohérentes. Ces scènes tombent dans l’excès et proposent de la sur-adrénaline inutile qui part dans tous les sens. Néanmoins, d’autres scènes sont mieux chorégraphiées, plus simples et donc plus efficaces. Force est de constater que les scènes de poursuites sont généralement médiocres, tandis que les affrontements au corps-à-corps, s’inspirant partiellement des arts martiaux, viennent rehausser le niveau.


Qui dit film étasunien de grosse production dit aussi plusieurs choses plus anecdotiques mais non moins importantes : grain dans les scènes d’amour avec des tons plus «crémeux» et un montage légèrement plus lent ; netteté et froideur dans les scènes d’action avec un montage très dynamique, parfois fatigant…


Ce qui pose problème, ce n’est pas ces pratiques, mais c’est leur récurrence : ces techniques sont quasi omniprésentes dans le cinéma actuel de grosse production.


FOND - HISTOIRE : message, scénario…


Dans Mourir Peut Attendre, on retrouve beaucoup d’éléments habituels dans les grosses productions étasuniennes. Par exemple, l’opposition, parfois très manichéenne, entre un gentil occidental (ici, anglais) et un méchant communiste (ici, russe). Bien sûr les affaires sont plus complexes, mais on retrouve cette idée de guerre froide après l’heure. Le méchant, ici, est en quelque sorte un nazi – plus exactement un humaniste évolutionniste. Son objectif (pour changer) est d’amener l’humanité vers un monde meilleur en améliorant son génome, quelque soient les moyens. L’ennemi de l’ex 007, ici, tient de longs discours prétentieux (pour changer), et James Bond, le gentil occidental de l’histoire, le « remet en place », de manière un peu faiblarde. Mais James Bond est un modéré, pas un méchant extrémiste ! Encore une fois, on a un héros qui se fait défenseur du status quo.


Autre chose : la prochaine 007 est une femme, noire qui plus est. Cela est une bien piètre tentative de faire passer le film pour progressiste. Avoir une espionne 007 noire, ça n’est bien sûr absolument pas un problème, et ça va même être sûrement très rafraîchissant si suite il y a. Par contre, lorsque c’est pour tenter de cacher le sexisme qu’il peut y avoir dans ce film, on rejoint la logique des grandes marques qui changent leur logo en drapeau lgbt le mois des fiertés afin de bien se faire voir, mais n’ont aucune action à côté. Car oui, parlons-en. Cet opus conserve le machisme qu’on peut trouver dans les habitudes de la saga James Bond, de manière très peu surprenante. L’espion, homme considéré d’emblée comme apogée de la virilité, est un homme, donc, et bien musclé. Il ne laisse que très rarement paraître ses émotions, à l’occasion de sa propre mort ou de celle d’un camarade. Avec sa partenaire, il ne laisse rien transparaître. Elle, par contre, est en « hystérie » : elle crie et pleure souvent. Cette vision de la virilité de l’homme et de la faiblesse de la femme est propagée par ce film.


Conclusion


Mourir Peut Attendre est un film médiocre. Il n’est pas mauvais, et il est totalement compréhensible que que des fans de la saga l’apprécient. Son scénario tient la route et la forme est globalement efficace. Aussi, le cinéma a besoin de grosses productions comme ce film, qui vont faire venir des gens en salle, pour payer un ticket de cinéma, et financer ainsi de plus petites productions par le biais du CNC.


Cependant, ce long-métrage représente tout ce que le cinéma étasunien a d’uniformisé et de consumériste. Ce film est fait pour être regardé, pas étudié. Il est même un produit de consommation, plus qu’une œuvre d’art.


Ce sont donc les raisons pour lesquelles James Bond : Mourir Peut Attendre est un film très intéressant à analyser, et un excellent objet d’étude. On découvre beaucoup de procédés très courants, et on peut voir comment ils sont utilisés, quand, dans quel but, à quelle fréquence…



Voyez ce film, et pensez-y.



PS : Le générique est génial ! Excellent moment, avec de belles images et le superbe morceau de Billie Eilish.
PPS : Par contre, certains moments sont très prévisibles...
PPPS : La musique est cool

Turtie
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le 10 oct. 2021

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