Mulan
4.4
Mulan

Film de Niki Caro (2020)

Si je râle de manière préventive à chaque fois que Disney se lance dans un live-action, le visionnage de Mulan en est la légitimation illustrée et animée.
Prenons le film de départ : de vrais enjeux, une jeune femme s’enrôlant dans l’armée dans le plus grand des secrets pour sauver la vie de son père au péril de la sienne, une double-vie risquée mais libératrice, l’évolution en parallèle d’un personnage masculin et d’un personnage féminin qui tous deux cherchant à marcher dans les pas de leur père, l’arrivée inattendue du courage et de l’astuce d’un soldat comme les autres parmi les derniers survivants d’une armée, les préjugés archaïques d’un conseiller impérial représentant toute une génération de vieux cons contre lesquels il faut se battre, la résolution marquant la victoire de l’héroïne contre une tradition misogyne, des personnages attachants, des side-kicks adorables, drôles et touchants, une richesse de tonalités allant du comique à l’héroïque, une bande originale aux petits oignons signée Jerry Goldsmith, bref, un chef d’œuvre.


Mulan de Niki Caro ne possède rien de tout cela. Ce film peine à esquisser en deux heures ce que le film d’animation bouclait avec brio en 88 minutes. Que s’est-il passé ? L’équipe qui a bossé sur le projet avait visiblement envie d’ajouter beaucoup de choses au récit proposé en 1998.
Tout d’abord, la magie. Certes, Mulan de Cook et Bancroft abordait la spiritualité en personnifiant les esprits des ancêtres de la famille Fa/Hua. Le film le faisait cependant de manière vraisemblable : les personnages croient que leurs ancêtres veillent sur eux et écoutent leurs prières, donc me montrer ces ancêtres en train de veiller sur eux et de répondre à leur appel est cohérent. Introduire de la sorcellerie provenant de personnages humains capables de se FUCKING METAMORPHOSER et de FUCKING MARCHER SUR LES MURS est non seulement invraisemblable, mais c’est aussi complètement con. Le Chi si souvent mentionné dans le film n’est pas ce qui fait les pouvoirs magiques d’une sorcière, bande de moules. Il est un élan vital présent dans tous les être vivants qui, s’il est équilibré, assure la stabilité et la longévité. Ce n’est pas censé te faire dodger des flèches sur le champ de bataille et te faire voler dans les airs. Pourquoi ce contresens (à mon avis consenti) ? Mais voyons, une jeune femme possédant inconsciemment des pouvoirs qu’elle découvre et apprend à utiliser en se forgeant son identité, en rejoignant une armée qui se lance dans une mission suicide en allant se battre contre un grand monsieur tout en noir qui lui aussi possède le chi en la personne de sa sorcière bien aimée, un chi que tu peux concentrer pour influer sur ton entourage, un pouvoir qui s’éveille et qui s’accroît, mais bon sang, c’est qu’on est à deux doigts des midichloriens et la lutte entre la Force et le côté obscur ! DISNEY CINEMATIC UNIVERSE MOTHERFUCKERS. C’est flagrant dans la chorégraphie des combats au sabre ou à l’arc : Attraper une flèche en plein vol avant de la renvoyer à l’expéditeur d’un coup de pied ? Sérieusement ?
Autrement dit, et c’est l’impression que j’ai eue pendant tout le film, Mulan est un cross-over entre Star Wars et l’invasion des Huns à la sauce Szechuan. Je ne suis pas contre la cuisine fusion, mais là, le résultat est indigeste.


A part la photo ultra léchée qui est faite pour être belle, les costumes et les décors, tout est à jeter aux oubliettes. Les personnages d’origine sont creux ou transparents (RIP les frères d’armes de Mulan), Shan-Yu le cruel et le sans pitié est une espèce de petit Kylo Ren pas classe qui ferait un cosplay cheap de Khal Drogo, les side-kicks on entièrement disparu (RIP Mushu), les personnages ajoutés NE SERVENT A RIEN : Mulan a une sœur. Qui s’en fout ? Les figures paternelles sont réduites à celle du père de Mulan, qui a une perruque si laide qu’elle me semble bâclée expressément dans le but de distraire le spectateur du visage inexpressif de l’acteur mal casté. RIP Fa Zu et son allure fière de vétéran et de sage.


Malgré tous ces changements, les responsables de ce film ont tenu à garder quelques éléments iconiques du film de départ. Le problème, c’est que quand on vide une scène de sa substance et de ses enjeux, elle n’a plus la prestance de celle que l’on copie. Exemple : la scène finale au palais impérial. Dans le dessin animé il s’agit de la rencontre entre Mulan et l’Empereur. Ce dernier, qui est esquissé avec un visage indéchiffrable, commence son discours par une litanie de reproches à l’encontre de la jeune femme, proférée crescendo (« J’ai beaucoup entendu parler de toi, Fa Mulan, tu as volé l’armure de ton père, tu t’es enfuie de chez toi, pris l’apparence d’un soldat, abusé ton officier commandant, déshonoré l’armée de Chine, détruit mon palais ») avant de mettre fin à la tension en finissant après une courte pause « et tu nous a tous sauvés » puis de s’incliner devant elle et de pousser l’assistance à en faire de même. C’est la résolution de la tension construite dans tout le film par le triomphe. Dans le film, Mulan a déjà rencontré l’empereur en lui sauvant la vie toute seule comme une grande (ah oui, le message de camaraderie aussi est passé à la poubelle, on joue perso ici). Du coup, la scène est une scène de remise de médaille et d’entretien d’embauche (« salut ! merci ! tu veux faire partie de ma garde ? non ? bon ben salut, le bonjour chez toi ! »). L’empereur a perdu tout son panache et sa prestance, les honneurs faits à Mulan passent inaperçu dans une foule de courtisans qui s’en fichent sévèrement d’être présents.


Ne parlons même pas des métaphores pas subtiles de coming-out qui auraient pu être mieux amenées, plus approfondies, plus osées, et qui ici défient le bon sens et la logique : lors du combat contre les Huns, Mulan ne peut pas gagner « parce que son chi est bloqué par le mensonge » (alors qu’on vient de la voir faire des passes de Jedi à cheval), elle doit donc « devenir elle-même » pour libérer son pouvoir et vaincre le côté obscur. Comment cela se manifeste-t-il ? Elle se détache les cheveux (bah oui, évident, une fille ça a des cheveux au vent) et ôte son armure avant de retourner au combat. Je répète : ELLE OTE SON ARMURE AVANT DE RETOURNER AU COMBAT. Mise à nue symbolique, tout ça, tout ça, soit, mais est-ce que c’était bien le moment ??!


Mais alors le plus grand reproche que j’ai à faire au film, c’est sa bande originale. Elle a été conçue dans l’idée que le film est un hommage au film de 1998. Donc, selon Harry Gregson-Williams, il fallait impérativement inclure au moins un rappel sonore pour plaire au public. Il a donc incorporé de gros grumeaux de « Qui je suis vraiment » à sa tambouille fadasse. Sa composition est largement oubliable, et elle jure même parfois avec l’action. Mais quitte à vouloir reprendre une musique qui fonctionnait très bien, pourquoi n’en reprendre qu’un échantillon mono-dose ? Là où au moins Star Wars a réussi en la personne de John Williams à inclure de nouveaux thèmes aussi bons et dans le ton que les précédents, le Gregson-Williams a essayé, mais a lamentablement échoué. La musique du film semble faite pour nous rappeler qu’il existe ailleurs une BO bien meilleure. Il aurait fallu se détacher de l’original : malgré sa référence à la BO antérieure, celle du film de 2020 n’a aucun sens et aucune logique. C’est ce qu’on appelle, à l’instar du film tout entier, une réécriture ratée.


1998 : 1, 2020 : 0

Bloarg
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le 16 déc. 2020

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