Ce sont des sentiments contradictoires qu’on ressent en découvrant le premier long-métrage Mustang de Deniz Gamze Ergüven. On ne peut reconnaitre qu’à l’étudiante turque passée par la prestigieuse Femis un authentique talent à structurer et à mettre en images un récit qui multiplie les personnages et les situations. Mais on peut tout aussi bien lui reprocher de surfer sur l’air du temps, d’aborder un sujet qui ne peut faire que consensus, susciter une entière adhésion. En effet miroir, on retrouve cette opposition (du jugement) dans la dichotomie qui apparait à l’écran entre les mœurs d’un village à mille kilomètres d’Istanbul (qui donne l’impression de revenir un siècle en arrière – et il est probable que beaucoup soient abasourdis de voir que les pratiques d’enfermement et de mariages forcés aient encore cours dans la Turquie actuelle) et cinq sœurs, belles et plutôt délurées, qu’on a donc le plus grand mal à imaginer dans cet environnement. Par leurs attitudes et leurs conversations, leurs relations naissantes avec les garçons de leurs écoles, elles ont davantage à voir avec n’importe quelle adolescente européenne, occidentale et citadine.


L’énergie, la beauté et la jeunesse des cinq sœurs, mais aussi leur complicité et leur union, sont autant de remparts contre la bêtise et les préjugés des adultes (la grand-mère et l’oncle qui élèvent et ont la charge des orphelines). Barricader dans la maison familiale transformée en camp retranché (barreaux et élévation des murs) est un pis-aller pour ces filles pleines de ressources. L’enfermement que constitue le mariage forcé des aînées est redoutablement plus efficace puisqu’il provoque l’éloignement de certaines et, in fine, la division du jeune gynécée dont les cadettes – et principalement Lale, la plus jeune et la dépositaire du récit en voix off – ont devant les yeux ce qui les attend irrémédiablement. L’impression que Deniz Gamze Ergüven déroule avec efficacité le catalogue exhaustif de tout ce qu’ont à subir les sœurs, y compris jusqu’au paroxysme dramatique, laisse aussi un goût amer face à une évolution qui apparait de plus en plus prévisible.


Toute œuvre qui relaie les mauvais traitements faits aux femmes en général est évidemment indispensable, mais le mélange des genres nuit en quelque sorte à l’ensemble. Mustang semble de fait faire la synthèse entre Bande de Filles de Céline Sciamma (on sent d’ailleurs des similarités entre les deux réalisatrices pareillement formées) et un cinéma plus engagé politiquement. L’écueil majeur du film est sans doute son manque d’authenticité. Autrement dit, on ne croit pas complètement à cette histoire pourtant tragique, à ce film terriblement formaté et balisé, proposant au final une vision plutôt uniforme et guère originale, curieusement dépourvue d’une réelle identité.

PatrickBraganti
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le 19 juin 2015

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