Une tasse de thé avant la saignée

Mustang ou le premier film d’une réalisatrice en colère qui revendique, à raison, la liberté de la femme dans tout ce qu’elle a de plus naturelle : son simple droit à être à l’écoute de ses envies, à choisir ses amours et à profiter de la vie. Entre sujet casse figure et belle fable initiatique, ce n’est cependant pas sans se brûler un peu les ailes que Deniz Gamze Erguven tente d’apaiser par l’image le sang bouillant dans ses artères qu’elle tempère en hurlant haut et fort ce sentiment d’injustice qui la nourrit quand elle pense aux destins d’une tristesse absolue réservées à certaines femmes nées au mauvais endroit, au mauvais moment.


Car si le propos de Mustang est évidemment très fort, que certaines scènes touchent en plein cœur, son déroulement un peu naïf, ainsi que son rythme faussement contemplatif ne semblent pas toujours maîtrisés. Plus embêtant, ces écueils donnent l’impression d’être l’aveu d’inexpérience d’une réalisatrice qui tente de combler son temps d’image — on se passerait volontiers, par exemple, des brasses coulées des deux plus jeunes sœurs en pyjama dans leur chambre déserte—. Par ailleurs, l’entente entre les cinq frangines, symbolisée par de longs moments d’immobilisme au sein d’une maison traversée par un soleil radieux, fait parfois un peu factice.


Et pourtant, malgré ces quelques approximations facilement pardonnables, Mustang est, à n’en pas douter, un bien joli film, traversé par une ribambelle d’actrices volontaires et quelques moments marquants, à l’image de cette détonation surgie de nulle part qui s’impose, de manière glaciale, comme une évidence. Au moment où les cœurs se trouvent à court de solution, quand il est question de trouver une issue à cette vie qui les emprisonne, les choix les plus radicaux deviennent forcément des options à envisager, pour peu que les esprits envisagent de déposer les armes. Au même titre que le courage peut l’emporter, en témoigne l’esprit revanchard de la benjamine qui met en route sa révolte. Un tempérament à contre-courant de celui de ses sœurs, qui lui permet d’emprunter à Mc Gyver son art de la débrouille, d’apprendre à conduire en un après-midi, sans bottin pour atteindre le volant, ni boite automatique, pour fausser compagnie à ses tortionnaires.


Une fuite surréaliste qu’il ne faut pas prendre au premier degré tant son intérêt se trouve dans sa forte symbolique. Un rayon de lumière dans les destins sombres dont il est question, qui permet aux thématiques dépressives de Deniz Gamze Erguven de trouver furtivement le soleil, véritable acte de résistance à propos d’un sujet passablement triste.


Sans être, à mon sens, la surprise de l’année, Mustang est un premier film intéressant, au fond nécessaire qui rappelle, sans trop en faire, qu’ailleurs, et certainement pas très loin de chez soi, puisque le traditionalisme radical n’est pas propre à la Turquie, de pauvres âmes se contentent de vivre selon le choix des autres, sans avoir leur mot à dire. Une bobine imparfaite, un peu maladroite dans sa narration, qui a cependant pour elle une énergie communicative nourrie par une passion de chaque instant.

oso
7
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le 9 déc. 2015

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oso

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