Le cinéma a pris l'habitude de prendre pour objet le monde de la drogue, ses consommateurs, ses vendeurs et ses magnats. On songe spontanément au Requiem for a dream de Darren Aronofsky, au Blow de Ted Demme, au Trainspotting de Danny Boyle, au Candy de Neil Armfield, au Traffic de Steven Soderbergh, au Scarface de Brian De Palma, au Easy Rider de Dennis Hopper ou encore au Pusher de Nicolas Winding Refn. Autant dire que le thème apparaît désormais quelque peu éculé et que l'exercice consistant à se montrer personnel et intéressant en le traitant à l'écran tient de plus en plus de la gageure. Qu'importe, Felix Van Groeningen s'en accommode très bien, et ce même si My Beautiful Boy présente en outre la particularité de constituer sa première incursion outre-Atlantique.


Là où Requiem for a dream ou Trainspotting misaient sur une représentation outrée des drogués, My Beautiful Boy préfère une fresque familiale pudique et tout en sensibilité. Steve Carell campe un père de famille épuisé par la lutte acharnée que mène son fils contre la drogue. Ce dernier est interprété par un Timothée Chalamet confirmant tout le bien que l'on pensait de lui depuis Call Me By Your Name. Le spectre dépasse cependant les relations filiales père-fils, puisque c'est toute une famille, recomposée qui plus est, qui se voit profondément impactée par la perdition de Nicholas, un jeune homme pourtant brillant et longtemps promis au plus bel avenir. Ont ainsi voix au chapitre la mère géographiquement éloignée et la belle-mère qui, bien que concernée, cherche avant tout à préserver ses propres enfants.


Le milieu social portraituré semble relativement aisé, et indéniablement cultivé. David, le père de famille, est pigiste pour des quotidiens nationaux d'information, dont le New York Times – ce qui le situerait plutôt à gauche politiquement, ce qui n'est pas sans importance dans son attitude face à la drogue. Bienveillant, à l'écoute de son fils, il espère le meilleur pour Nicholas et, à ses yeux, cela passe forcément par une prestigieuse université. Felix Van Groeningen narre avec brio ses attentes déçues, mais aussi les liens indéfectibles unissant le père à son fils. C'est à la fois poignant et tragique. Dans un exercice de mise en scène sobre et efficace, en usant de bonds temporels et de séquences rejouées à des temporalités et des tempos différents, le cinéaste belge égrène les passages obligés des histoires de ce type : accoutumances, centres de désintoxication, espoirs, rechutes, overdoses, conflits, rédemptions... Il le fait toutefois avec un lyrisme et une justesse qui désamorcent sans mal la plupart des critiques auxquelles s'exposent habituellement les œuvres similaires.


My Beautiful Boy se base sur les mémoires de David et Nic Sheff. Le film fait la part belle à John Lennon, Nirvana, Sigur Rós ou Neil Young dans une bande-son quasi parfaite, dont l'importance ne doit certainement pas être négligée. Dans le métrage comme les bouquins, la musique sert en effet de trait d'union entre le père et son fils. Outre les multiples questions liées à la drogue et à la famille, c'est le sentiment d'impuissance qui s'arroge la fonction de ligne cardinale du récit. Les comédiens, tous impeccables, habitent des séquences souvent fortes desquelles se dégage un sentiment inexpiable de désillusion. La rencontre entre David et une camée inconnue en est une belle illustration, puisqu'elle renferme à elle seule tout ce qui fait l'étoffe de My Beautiful Boy : l'incommunicabilité, l'incompréhension, l'incapacité à agir, le désarroi, la peur... Finalement, les souvenirs auxquels se raccroche David ne s'apparentent plus qu'à des feuilles mortes annonçant un automne sans fin. Et ça, Felix Van Groeningen le filme avec maestria.

Cultural_Mind
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le 10 févr. 2019

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