L’Angleterre est déjà un pays dense en tout, alors qu’est-ce que ça devient quand on y applique surcouche sur surcouche ! Frears nous fait rêver son film : voulant donner le sentiment qu’on ne sait pas quand il commence, on y débarque brutalement comme un intrus. Premier tableau : l’accession au monde adulte d’un jeune Anglais d’origine pakistanaise (Gordon Warnecke), sans volonté ni personnalité, qui n’a rien demandé à personne & souffre quand même toute l’injustice des trois mondes : le monde pakistanais, anglais, & celui des adultes.


C’est bien un genre de frustration onirique, & la musique n’arrange rien : volontairement mauvaise, presque ridicule, elle tire le film social vers une interprétation qui est à l’inverse très peu terre-à-terre. Puisant dans le visuellement touffu, Frears continue de faire enfler le fantasme jusque dans les plus grandes ruptures d’ambiance.


On perd pied, & c’est voulu : les Anglais qui deviennent adultes au son de My Generation en endossant presque par accident une personnalité qu’ils ont longtemps simulée en s’inspirant de figures antiparentales comme Sting (le personnage de Day-Lewis a vraiment quelque chose de lui), c’est le terreau que le réalisateur recherchait pour son film de classes, mais il a oublié d’arrondir les angles. Pouf, le petit Pakistanais est adulte, il s’est bricolé une personnalité de brick & de rock & le voilà propulsé.


C’est comme si on avait appliqué un milliard de filtres cinématographiques à un scénario pourtant déjà plein d’atouts narratifs. Le résultat n’est pas excellent mais on frôle l’alien : il y a un côté très cormanien à My Beautiful Laundrette, sauf que c’est une laverie de luxe & non une petite boutique des horreurs.


Pas amateur mais assez cheap, le film a figé ce qu’il a de plus kitsch dans une sorte d’ambre qui le catalyse : de la composition de la photo, généralement oblique & profonde comme une caricature, au chemin social rude que parcourt le jeune adulte sur fond de thatchérisme, l’œuvre est “significative”. Ce qu’elle signifie & pour qui, c’est un autre débat, & il ne sera sûrement pas réglé avant que soit résolu un autre mystère : c’est tourné dans quel style, en fait ?


Quantième Art

EowynCwper
5
Écrit par

Créée

le 22 avr. 2020

Critique lue 343 fois

1 j'aime

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 343 fois

1

D'autres avis sur My Beautiful Laundrette

My Beautiful Laundrette
Caine78
7

Critique de My Beautiful Laundrette par Caine78

Tourné à l'origine comme téléfilm avant d'être gonflé en 35mm après son succès au festival d'Edimbourg, « My Beautiful Laundrette » n'a aujourd'hui pas pris une ride. Il est d'ailleurs toujours...

le 11 avr. 2018

2 j'aime

My Beautiful Laundrette
EricDebarnot
8

Le renouveau du cinéma britannique ?

Réalisé pour la télévision, "My Beautiful Laundrette" marqua à l'époque un renouveau du cinéma britannique, toujours à forte connotation sociale, mais ici déchargé de toute lourdeur démonstrative et...

le 16 janv. 2017

2 j'aime

My Beautiful Laundrette
EowynCwper
5

Critique de My Beautiful Laundrette par Eowyn Cwper

L’Angleterre est déjà un pays dense en tout, alors qu’est-ce que ça devient quand on y applique surcouche sur surcouche ! Frears nous fait rêver son film : voulant donner le sentiment qu’on ne sait...

le 22 avr. 2020

1 j'aime

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 25 oct. 2018

8 j'aime

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

7 j'aime