Après les vastes étendues baignées de lumière de "Mort sur le Nil", Kenneth Branagh ramène Hercule Poirot à un cadre radicalement différent, celui d’un huis clos vénitien, nocturne et oppressant. Ici, les canaux brumeux et les orages qui éclatent sur la cité des Doges remplacent le soleil égyptien, offrant un décor à la fois gothique et spectral, parfaitement taillé pour une intrigue où le fantastique s’invite dans l’univers habituellement très rationnel du détective.
Ce troisième volet met en scène un Poirot en retrait, exilé volontaire, presque lassé de sa propre légende. Sa réputation le précède toujours, mais lui s’est juré de ne plus jouer le jeu de l’enquête. Jusqu’à ce qu’une amie chère lui propose un défi, et que l’irréel vienne heurter sa rigueur cartésienne. Branagh ose ainsi montrer un Poirot vacillant, rongé par le doute, moins sûr de lui que jamais. Cette fragilité inattendue humanise le personnage, tout en créant un contrepoint intéressant aux certitudes implacables du détective que l’on croyait inébranlable.
L’alliance entre enquête policière et atmosphère fantastique fonctionne comme une expérience troublante. Le spectateur se laisse porter par ce mélange, parfois déstabilisant, mais qui a le mérite de sortir Poirot de sa zone de confort. L’ombre, la pluie et l’enfermement deviennent alors des protagonistes à part entière, transformant la Venise romantique en un théâtre de cauchemar.
Si Mystère à Venise ne révolutionne pas l’art du whodunit, il parvient toutefois à imposer une tonalité singulière, plus sombre et plus intime. Branagh signe ici une variation mélancolique de son héros moustachu : un homme de raison confronté à l’irrationnel, et un enquêteur de génie obligé de se confronter à ses propres failles.