L’amour en morceaux, hagard, physique, éparpillé à nouveau, c’est ce qui fascine Lou Ye depuis ses débuts avec Weekend lover (rivalités masculines pour le cœur d’une jeune fille), de la place Tiananmen d’Une jeunesse chinoise au Paris strié de Love and bruises, en passant par le Nankin bouillonnant de Nuits d’ivresse printanière. Ici encore, il y a un homme et une femme (l’épouse), puis une deuxième (la concubine), puis quelques autres emmenées vite fait dans des chambres d’hôtels en mal d’étreintes adultères. Ici encore, il y a des amants terribles, une brutalité dans les caresses, et des envies sourdes qui s’enchevêtrent.

Scénario archi-banal, croit-on, mais tout se complique quand la première rencontre la deuxième (elles ne se connaissaient pas), chacune avec un enfant de l’homme, une rencontre par hasard un après-midi, mais est-ce vraiment un hasard ? Lou Ye, de retour en Chine après cinq ans d’interdiction de tournage dans son pays, continue de filmer à l’arrachée, tel un voleur, l’ivresse des corps et la frénésie des sentiments, libre mais rigoureux, guidé par un instinct secret, entièrement à lui. Qu’il se noie dans Shanghai ou se perde dans Paname, il a toujours une fièvre qui l’emporte, toujours aussi ces mouvements amples et aériens qui éblouissent, puis plus doux après.

On pense même, parfois, à Bong Joon-ho (la scène de la découverte du clochard dans un champs fait penser à Memories of murder) quand la caméra s’élève et traque ses personnages comme un fou sous un ciel bas, trop sombre à force de nuages lourds. Il pleut beaucoup, le soleil est voilé sans cesse, jamais net, pas très clair, à l’image des passions au travail jusqu’à la rupture, jusqu’à l’irrémédiable quand cette jeune fille sur la route se fait brutalement renverser (scène primale et grand moment opératique du film qui sera, plusieurs fois, repris selon différents points de vue). Désirs et infidélités, jalousies et rancunes, manipulations aussi, tout cela remonte, s’agite, se déchire, et ne laisse à la fin le moindre vainqueur, sauf peut-être Sang Qi, la deuxième femme, celle que Yongzhao laisse dans l’ombre d’un appartement vétuste.

Plus l’intrigue avance, et plus chaque protagoniste se dévoile, se découvre ou se ment, et plus tout devient incertain quant aux volontés de chacun (qui aimer ? Comment ? À qui en vouloir ?). Mais cette intrigue, excitante a priori, se délite au fur et à mesure qu’elle se révèle. On reste souvent extérieur aux flux et reflux des histoires amorcées (flashbacks, récit chorale, drame amoureux, étude psychologique, film noir…), mal condensées, mal imbriquées, et malgré la belle intensité des acteurs perdus dans un Wuhan tentaculaire et labyrinthique, Mystery laisse absent, indécis beaucoup, comme en manque d’une large ferveur.
mymp
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le 13 mars 2013

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mymp

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