Voir ce film, c’est faire une expérience de cinéma très agréable et par moments assez radicale, que ce soit dans son propos politique, ou dans les choix esthétiques. C’est ce qu’on constate notamment dans le plan final, qui doit durer au moins 15 minutes, chose que j’ai jamais vue au cinéma pour l’instant. Et il s’en passe des choses dans ce plan pour celui qui sait observer, je pourrais presque écrire une critique juste sur celui-ci! Rien que pour ce plan ça vaut le coup de voir le film. Je maintiens le suspense intact…Ilinca Manolache (Angela) a une sacrée présence à l’écran, c’est assez fascinant de la suivre tout le long de son périple même pour les incultes comme moi qui n’ont pas lu Alice au pays des merveilles et n’ont pas eu toutes les références. Le réalisateur Radu Jude fait le choix intelligent de l’approche sociologique en présentant Angela dans sa condition de femme, roumaine, et assistante de production. Le fait d’avoir une approche par son travail est assez original (les femmes sont souvent présentées au cinéma comme personnage secondaire lié à un homme personnage principal et souvent définies avant tout par leurs caractéristiques psychologiques). Cela permet de montrer l’hypocrisie de la société de production pour qui elle travaille,dont la responsable marketing, Doris (Nina Hoss), est moins préoccupée par les accidents du travail que par l’esthétisme de sa publicité de prévention. En effet, il ne faut par exemple pas choisir l’handicapé muet parce qu’on préfère qu’il parle dans la pub.Radu Jude n’a pas peur de prendre des risques, comme par exemple lorsqu’il montre, plan par plan, croix par croix, la quasi intégralité des dizaines et des dizaines de « monuments » dédiés aux morts sur une route en Roumanie qui à cause de mauvais aménagements est particulièrement mortelle.Le film arrive à la fois à montrer les stigmates de la dictature de Ceausescu et à avoir de nombreux traits d’humour comme lorsqu’Angela se rend dans la famille d’Ovidiu Pîrsan, qui joue son propre rôle) et qu’une horloge sans aiguilles affiche la mention suivante, belle métaphore sur le temps qui illustre en quelque sorte les liens entre Angela Coman (Dorina Lazar) chauffeure de taxi sous Ceausescu et Angela Raducani dans le Bucarest actuel: « Il est plus tard que tu ne le penses ».