Un avion qui percute les tours jumelles, ça ne vous dit rien ? Et un mur qu'on érige pour se protéger des gens jugés dangereux ? Nous ne sommes qu'en 1981 et John Carpenter semble avoir eu la prescience du 11-septembre 2001 tout autant que du mur construit par Donald Trump à la frontière mexicaine. Etonnant.

Ce que Carpenter voulait faire dans la vie, ce sont des westerns. Las, au début des années 80, le genre semble s'être éteint avec Sam Peckinpah. Qu'importe, notre homme va bien signer des westerns, mais transposés dans le cadre urbain d'aujourd'hui. Escape from New York, titre que je préfère à sa plate traduction française, se passe "now" : le mythe est le même, mais les grands espaces saturés de soleil ont fait places aux ruelles poisseuses, sous une lumière presque exclusivement nocturne.

Les sauvages ne sont plus des peaux rouges expropriés et repoussés dans des réserves mais tout ce que le pays compte de délinquants, cloîtrés, eux, sur l'île de Manhattan. Le joyau de New York n'est plus qu'un cloaque laissé à l'abandon. Le soir, les "dingues" sortent des bouches de métro et s'égaillent dans la ville tels des zombies. Etablir un parallèle entre les délinquants et les Indiens, voilà une prise de position idéologique, tant ces derniers font figure de victimes aux Etats-Unis. Un parti pris de gauche, que Carpenter revendique d'ailleurs dans un bonus du DVD, à l'opposé de son ami très droitier Kurt Russell. Ainsi Duke, le chef des embastillés, peut-il être vu positivement : après tout il ne cherche qu'à libérer son "peuple". Carpenter admirait John Ford, et l'on sait comme le réalisateur américain dénonça souvent la violence yankee vis-à-vis des Amérindiens.

Face au sauvage, il faut un héros. Snake Plissken (quel nom !), inspiré, aux dires mêmes de Carpenter, des nombreux rôles endossés par Clint Eastwood, est cette figure indépendante, doté d'une certaine droiture mais aussi totalement amorale, que popularisa Sergio Leone. L'homme invincible, insensible, cynique, guidé par son seul intérêt. Comme attendu, il refusera l'offre de collaborer avec les autorités, trop jaloux de son indépendance : "My name is Plissken", lance-t-il à Bob Hauk, le même auquel il demandait de l'appeler au contraire Snake au début du film. Une belle idée : de même qu'il revendiquait son titre de malfrat au début de l'histoire, il dénie à Hauk la familiarité que le chef de la police se permet à la fin. Dans les deux cas, il s'agit bien d'affirmer "je ne suis pas de votre côté" - contrairement à ce que pourrait laisser croire la mission dont il s'est acquitté. Dans le rôle de Snake, Kurt Russell s'en sort honorablement, sans parvenir à faire oublier la figure d'Eastwood, archétypale du genre.

D'autres clins d'oeil au western parsèment le film : la présence de Lee Van Cleef, l'acteur au regard de... serpent, l'inoubliable brute qu'affrontait le Bon dans le film de Leone. Le personnage du taximan, débonnaire et courageux, qu'on trouve dans de nombreux westerns, généralement sacrifié comme ici, ce qui met toujours le héros en fureur. Et puis la belle plante, au besoin téméraire, ici jouée par Adrienne Barbeau, sorte de Sigourney Weaver à forte poitrine. Les indiens, ce sont les Dingues. La cavalerie, ce sont les forces spéciales de police, déployant face à la fange son arsenal technologique.

Le pitch ne s'embarrasse pas de fioriture : lors du crash de l'avion Air Force 1 sur une tour, la capsule du président a atterri sur Manhattan. Il s'agit d'aller le récupérer, on a donc choisi Snake Plissken. Une figure légendaire que sa réputation précède partout où il va mais dont on ignorera toujours les exploits : une belle idée que ce hors champ scénaristique qui, par son mystère, permet d'incarner au mieux la figure mythique du héros solitaire. Pourquoi lui ? Parce qu'il est le seul capable de poser un planeur sur le World Trade Center ! Hum, bon, passons. En échange d'une amnistie, il est chargé de mener à bien la délicate mission. Et pour bien s'assurer de sa parfaite docilité, on lui a implanté deux capsules, minuscules celles-là, qui exploseront au terme des 23h imparties.

Défense de rire... Tout cela est quand même très kitsch. L'intrigue, mais aussi tout un tas de détails : le bandeau sur l'oeil de Snake, son tatouage de serpent sur le ventre, ses muscles saillants, sa coiffure de rebelle. Le site avoiralire recommande de ne pas voir le film au premier degré ? Le ton ne m'a pas semblé suffisamment parodique pour inciter au second degré. Tout est très attendu. On lève donc un peu les yeux au ciel lorsque Snake triomphe de la grosse brute sur le ring malgré sa patte folle ou lorsqu'il est délivré 2 secondes avant la fin du compte à rebours.

L'intérêt est autre : dans l'atmosphère que parvient à distiller Carpenter. En situant la quasi totalité de son film de nuit d'abord (on regrettera, d'ailleurs, le "quasi"). Par le soin apporté au décor aussi : Carpenter a tourné à St-Louis, Misssouri, ville qui venait de subir un grand incendie, et dont il a habilement exploité le caractère délabré. Les carcasses de voiture pullulent, les détritus jonchent le sol, les bâtiments sont en ruine, c'est assez saisissant. Carpenter s'affirme aussi en grand filmeur, notamment dans la scène d'ouverture (et, déjà, dans le très kitsch Fog, la première scène était magistrale) : un panoramique d'abord vertical puis latéral qui plante magnifiquement le décor. Quelques scènes sont de vraies réussites : Snake dans son planeur, la chevelure irisée de rouge ; le combat sur le ring ; la scène où la voiture blindée conduite par Snake traverse un flot de Dingues haineux. Et la conclusion est sympathique,

cette cassette de jazz qui vient remplacer le discours sur l'arme nucléaire pour lequel on s'est imposé cet ultimatum de 24h. Plissken dévide tranquillement la dite précieuse cassette, en bon héros revenu de tout, qui ne prend plus au sérieux ces "autorités". Il faut dire que le président est copieusement ridiculisé, ce qui valut d'ailleurs au film des difficultés à sa sortie aux USA.

Unité de temps, 24h, de lieu, New York, et d'action, la mission d'exfiltration du président, sommes-nous dans une tragédie grecque ? Pas du tout : nul tragique dans ce Escape from NY, et bien peu de profondeur aussi dans ce qui est dit. Très efficace, le film de Carpenter reste un divertissement, certes riche de qualités cinématographiques, mais un simple divertissement tout de même. En étant indulgent sur ses aspects kitsch déjà évoqués, mais aussi sur son côté daté (la musique a très mal vieilli) voire ridicule (la berline décorée de lustres avec une boule à facettes à l'intérieur !), et sur les invraisemblances (le choc de l'avion sur la tour n'a guère fait de dégâts, alors que la carcasse de l'avion subsiste à terre...) on passe un agréable moment. De là à faire de Carpenter l'un des grands noms du 7ème art, il y a tout de même un mur, que cet opus-là ne m'aura pas décidé à franchir.

Jduvi
7
Écrit par

Créée

le 28 janv. 2023

Critique lue 20 fois

Jduvi

Écrit par

Critique lue 20 fois

D'autres avis sur New York 1997

New York 1997
Prodigy
5

Critique de New York 1997 par Prodigy

A revoir New York 1997 je comprends mieux pourquoi il vieillissait si mal dans ma mémoire, pourquoi je le regardais si peu souvent comparé à d'autres films de son auteur que j'ai vus 50 fois, et...

le 10 juil. 2010

98 j'aime

13

New York 1997
Ze_Big_Nowhere
8

Mon New York

New York ! Capitale du crime. Haut-lieu de la came et paradis de la péripatétipute en tout genres. Des buildings claustrophiques qui jouent à cache-cache avec le soleil et qui gagnent toujours. Des...

le 21 janv. 2015

88 j'aime

15

New York 1997
Grimault_
7

T'es solide, Snake !

En 1981, un an après The Fog (et quelques années après son cultissime Halloween), John Carpenter commence à sérieusement maîtriser le genre du thriller « à ambiance », travaillant des rythmes lents...

le 18 sept. 2020

47 j'aime

2

Du même critique

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Gloria Mundi
Jduvi
6

Un film ou un tract ?

Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...

le 4 déc. 2019

16 j'aime

10

Le mal n'existe pas
Jduvi
7

Les maladroits

Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...

le 17 janv. 2024

15 j'aime

3