En pleine crise économique post krach, alors que la misère règne, Frank Capra le magicien – que dis-je, l’enchanteur ! - du peuple met en scène l’impossible union entre une riche héritière et un simple journaliste. Or, au contraire de La vie est belle, Mr. Smith au Sénat ou encore L’extravagant Mr Deeds, Capra ne recourt pas à l’intervention merveilleuse du démiurge pour résoudre le dilemme insoluble en ignorant toute règle de vraisemblance – la fable ne s’y invite donc pas aussi clairement – et c’est un mérite du cinéaste et un soulagement pour le spectateur.

Néanmoins, impossible de trop lui en demander : la naïveté est toujours de mise, surtout dans le happy end, grotesquement monté – mais on s’y accommode, surtout quand on connaît bien l’homme et ses tendances populaires voire populistes, ici heureusement absentes. Cela dit, comment tisser une telle union entre des profils que tout oppose a priori, sans un peu de candeur ? Ici, elle est même synonyme d’espoir, et donc bienvenue. En effet, cette rencontre entre d’un côté une jeune femme issue de la haute société, fille à papa, trop gâtée, voulant s’extraire toutefois de l’autorité du père (celui-ci n’acceptant pas son prétendant) mais méconnaissant le monde extérieur et donc trop innocente pour se débrouiller seule, et de l’autre un pauvre journaliste, fraîchement viré, homme de peu, roué aux duretés et injustices de la vie, était loin d’être évidente. Or, grâce au principe des vases communicants, chaque personnage absorbant une partie de l’autre, une symbiose s’opère, essentielle à la survie mutuelle de chaque être au long de ce périple en autocar menant de Miami à New-York (et non l’inverse comme le suggère le piteux titre français), un peu comme dans Dersou Ouzala de Kurosawa ou encore L’épouvantail de Jerry Schatzberg, qui partagent avec It Happened one night l’itinéraire comme récit, qu’écrivent progressivement deux personnages qui avancent toujours ensemble, s’enrichissant de l’altérité de laquelle ils dépendent réciproquement. À la fin, autant Ellie aura appris de Peter Warne (humilité, débrouillardise, ruse, simplicité, …) que l’inverse (hauteur des sentiments, amour, effacement de l’intérêt matériel, …).

En inaugurant semble-t-il le genre de la screwball comedy, qui perdurera au moins 10 ans, et où se mêlent tous les types de comiques (de situation comme dans la scène du roi déchu et bourré, celle de l'auto-stop, celle de la dispute des faux mariés ; de mots comme dans la scène de dispute dans le bus avec le conducteur/contrôleur ; de caractère, comme la scène entre le riche père et le journaliste autour d’une facture de 39 dollars …) autour d’une intrigue amoureuse (rupture, mariage, adultère, …), et dont les dialogues et leur capacité à dynamiter le récit insuffle du rythme, Capra crée par ailleurs un film hybride précurseur où il allie comédie romantique, enquête policière et perspective sociale, parvenant ainsi la prouesse de rassembler les extrêmes et de fédérer toute la population – telle est la capacité des meilleurs communicants – avec un mariage impossible réussi (la couverture "mur de Jéricho" finalement tombée, joli symbole trouvé par Capra) et un public uni comme tous ces passagers du bus qui entonnent en chœur la chanson du trapéziste, comme un hymne à la fraternité.

Marlon_B
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le 27 févr. 2024

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