Décidément, MARTIN SCORSESE est un auteur passionnant, à la filmographie bien plus diversifiée et complexe que ce je pensais.


Moi qui le catégorisais comme un cinéaste seulement doué pour filmer des gens qui se butent les uns les autres au sein d’univers très marqués (mafias et autres gangs)…
Je constate qu’également, dans ses débuts, Scorsese présente un cinéma sensible et personnel, politique à travers l’intime, sachant dessiner des portraits d’hommes et de femmes avec finesse et précision, et les inscrivant dans des microcosmes aussi distincts que le quartier Little Italy (WHO’S THAT KNOCKING AT MY DOOR & MEAN STREETS), New York elle même (dans le phénoménal TAXI DRIVER), l’Amérique rurale des 30’s (via le mineur BOXCAR BERTHA), ou semi urbaine des 70’s (dans l’émouvant ALICE N’EST PLUS ICI).
Puis, il y a ce New York post WWII, mi réaliste mi fantasmé, dans NEW YORK, NEW YORK.


Si ce sixième film chroniqué ne fait pas partie des plus inoubliables, il s’inscrit néanmoins dans une certaine logique introspective et personnelle explorée tout au long de sa filmographie (l’Homme, la Femme, leurs rapports), dénote une certaine ampleur par sa reconstitution, constitue un hommage sincère aux genres musicaux qu’il met en scène, et offre à De Niro un nouveau rôle marquant.


Il constitue également une certaine prise de risque pour le cinéaste, se confinant autant qu’il l’explore, au genre de la comédie musicale.
Bref. Un film encore une fois riche et fascinant, bien qu’il lui manque peut-être une certaine cohérence entre ses ambitions de cinéma populaire et divertissant et sa vision assez « indée » de la relation amoureuse.
Mais d’abord, le contexte: New York, New York, c’est avant tout une chanson.


Si elle a été popularisé en 1979 par Frank Sinatra, cette chanson à pourtant une origine très intéressante, puisqu’elle est le CLIMAX du film de Scorsese chroniqué ici. Par climax, j’entends que cette chanson est l’expression la plus brute d’une histoire d’amour passionnelle, tragique et touchante – presque réaliste. Cette chanson, Francine Evans/Liza Minelli l’interprétera comme ultime (unique ?) dialogue réciproque avec son amant, Jimmy Doyle/Robert De Niro.


Car sous son enveloppe légère, c’est un drame bien peu accessible qui nous est proposé. Une longue histoire… D’amour peut-être, de désillusions certainement.
Derrière cette expression, peu accessible, il y a une logique étrange : Francine et Jimmy, sont d’abord présentés comme un couple mal assorti, typique des comédies romantiques; les premières scènes du film, en dépit de leur longueur, sont placées sous le signe de la comédie plaisante. Jimmy, personnage gouailleur, macho et séducteur, drague de façon bien reloue Francine, une fille au charme singulier dont on ne perçoit pas vraiment si elle est fascinée ou repoussée par son insistance. Mais… par la suite, Jimmy ne changera pas de comportement ou de valeurs, comme les règles de la romance hollywoodienne l’auraient exigé. Au contraire, il devient et très consciemment, de plus en plus égoïste tout au long du film !
À l’instar des autres hommes de NEW YORK, NEW YORK, très froidement, il ne semble jamais considérer Francine autrement que comme un objet – un moyen d’accéder à différentes formes de réussite (professionnelle, affective, sociale), tout autant qu’un obstacle à cette même réussite. Francine quant à elle, est une héroïne typiquement Scorsesienne en cela qu’elle lui reste soumise, malgré sa propre force de caractère (ici, son talent plus que son charisme). Ses décisions et indécisions, souvent incompréhensibles car motivées par une passion inexplicable, scelleront son destin dans un relatif malheur affectif.


L’amour, s’il existe entre ces deux là, semble unidirectionnel, et donc bien peu cinégénique. Pourtant, cette approche des sentiments n’est-elle finalement pas plus proche de la réalité que du cinéma ?
D’autant plus que Scorsese donne à leurs interactions un aspect très viscéral, grandement lié d’ailleurs à l’interprétation habitée de Robert De Niro.


Même la success story, qui voit Francine passer du stade de jeune première talentueuse à quasi-légende, possède cet arrière goût de cynisme.
Scorsese en effet, montre cette réussite non pas comme le fruit d’un travail acharné, mais comme indépendante de la volonté de Francine, à la fois décidée par d’autres, et comme moyen de combler le vide affectif laissé par Jimmy.


La chanson éponyme prendra ainsi d’autant plus de sens qu’elle exprime par la métaphore toutes les désillusions de cette relation amoureuse, s’exprimant pourtant à travers un simple désir de femme: être considérée par son homme, se sentir accompagnée, adulée, aimée.
Il y a parallèlement l’aveu de n’avoir trouvé d’exutoire que dans la reconnaissance par d’autres, même s’ils sont affectivement et émotionnellement désintéressés. Tragique, mais beau.


Coté interprétation, Robert de Niro tient son rôle de connard, de la première à la dernière minute. Au delà de confirmer sont talent d’acteur caméléon, cela confère une émotion singulière au film: Jimmy ne peut lutter contre son propre caractère, son égoïsme et ses ambitions, précipitant consciemment cette relation à sa perte, avec d’inévitables dommages collatéraux – c’est d’ailleurs dans ceux-ci que se placera une inattendue émotion, lorsque Jimmy (et Francine) regardera en face les conséquences de ses choix.
On pourra toutefois être moins convaincu par l’interprétation un peu effacée de Liza Minelli, notamment lors des dialogues et des premières chansons. Toutefois, force est de reconnaître que cela aussi colle à son personnage, qui se laisse porter plus qu’il ne réagit. Le chapitre final la verra en outre prendre une certaine assurance, tel un phœnix renaissant subitement… Après une rupture difficile.
La beauté du film est aussi là, à tenir ses personnages dans un réalisme froid, contrastant avec l’artificialité assumée de cette reconstitution du New York des années 40.


Car dans sa mise en scène de cette histoire, Scorsese semble emprunter au cinéma de Powell & Pressburger cette précision, ce faste et ce soin du détail dans la reconstitution (je pense ici, à Blimp). Cette façon de contraster l’émotion bien réelle des personnages dans un décor presque fantasmé m’a également rappelé la fameuse représentation de l’opéra des Chaussons Rouges. Puis, les décors extérieurs de ce New York figé rappellent Edward Hopper. Entre autres références qui me sont inconnues, j’y vois un Scorsese qui assume ses influences et son hommage, et cherche ainsi un contrepoint accessible à l’ultra-réalisme dérangeant et novateur de TAXI DRIVER.
Puis, il y a cette présence de la musique, notamment le Music Hall et le Jazz. Scorsese leur voue un évident respect, qui s’observe dans sa manière capter ces intermèdes musicaux avec intensité, et sans coupure. D’ailleurs, faire durer ces plans renforce l’idée de se servir de la musique comme dialogue… Ce qui prépare indubitablement au climax qu’est la chanson finale, New York, New York, par Francine/Liza Minelli.


NEW YORK, NEW YORK peut ainsi se voir comme une expérimentation chez un réalisateur ne souhaitant pas être confiné à un genre cinématographique précis (le cinéma immersif et réaliste), ainsi qu’une exploration de thématiques plus personnelles. Malheureusement, en résulte un film bien peu accessible dans son mélange de tons, dont on comprend aisément le four au box-office (13M$ de recettes pour un budget de 14M$). Pour l’anecdote, Scorsese tomba dans la drogue et la dépression après l’échec du film. Il me tarde de voir comment il parvint à se relever, et peut-être même à l’intégrer à son film suivant : RAGING BULL .


NEW YORK, NEW YORK a été chroniqué dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Martin Scorsese par le Festival Lumière 2015 !

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le 18 sept. 2015

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