J'avais vu ce film au cinéma et je l'ai revu pour le montrer à mon pote et je dois dire que ce film est fait pour le grand écran. Cependant c'est un film magnifique sur tous les points. C'est je crois un des films les plus complet et équilibré que j'ai pu voir. Les frères Cohen sont au sommet de leur art dans ce film qui dans un sens leurs permet de briser leurs codes, d'entraver leurs règles et leur conduite filmique.

L'histoire c'est un type qui tombe par hasard sur le lieu d'un carnage. Un règlement de compte entre narco-traficants. Il retrouve l'argent et tente de s'enfuir, mais il est poursuivi par un tueur implacable. Une course-poursuite s'engage. Un vieux shérif essaie de son côté de comprendre l'amoncellement de cadavres qui tracent la route des deux hommes. Je ne spoilerai pas la fin bien sur. Exception faite, si vous n'avez pas vu le film ne lisez pas la suite du paragraphe. Le héros meurt bien à la fin, ce n'est pas évident mais il git dans sa mare de sang, à l'arrivée du shérif.

J'ose le dire ce film est un chef d'oeuvre. Ce n'est pas un western, pas un film de gangster, policier, road movie, ce n'est rien de tout ça. No Country For Old Men est un film contemplatif. Bien que l'intrigue générale porte sur cette course poursuite et qu'elle définisse l'ambiance te la tracé du film, son but est autre. Ce film est une réflexion sur l'évolution, sur l'homme, ses travers, ses désirs, sa façon de vivre, l'énergie trépidante de la vie, mais aussi le néfaste qui l'habite nécessairement. Alors dans ce film pas de joies, pas de bonheur, au mieux de l'espoir, mais surtout de la violence, de la fatigue, du sang, de la réflexion et de l'impulsion, de l'instinct et des erreurs. L'aspect contemplatif est très fort par la photographie exceptionnelle du film. Les paysages américains sont filmés avec justesse, profondeur, immensité, ils placent les personnages dans l'intemporalité de la nature, ils ne sont rien, que des larves. Et leurs motivations sont larvesques. L'argent, la mort, la violence, le désir.

Les frères Cohen ne trahissent pas leurs codes en réalité, ils oscillent. Avec ce film il n'y pas réellement ce sens décalé qu'on peut trouver dans leur cinéma, pas ce soupçon d'humour qui opère une rupture avec la réalité, la sobriété et la classe des images. Ici cette histoire peut être vraie et il n'y a pas d'humour. Le shérif tente bien l'humour mais il rit souvent bien jaune. Pas non plus de notion quasi-fantastisque avec hallucination, instinct et flair redoutable, juste la survie, l'instinct. Deux animaux se poursuivent pour de l'argent, de la mort. Par désir de violence les corps s'amoncellent.

Le shérif est ce vieil homme qui n'est plus dans son pays, il ne le comprend plus ce pays qu'il affectionne et qu'il regarde triste. Lui porte une arme, ses ancêtres n'en ont jamais eu besoin. Il n'est pas réellement perdu, il sait qu'il n'a juste plus sa place et ça ça n'est pas être perdu, c'est de la lucidité. Son rôle et son existence est extrêmement important. Ce pourrait être une simple poursuite, pourtant ce personnage qui ne rencontre jamais les autres justifie et donne une tonalité à leur existence. Il les révèle déconnecté du monde, de la société, de ce qui fait que nous sommes humains, pas des psychopathes assoiffés par l'argent et ne rechignant pas devant la violence exacerbée. Il est celui qui récite et regarde sans voir, qui sait au fond lui que le monde est fou et que ces hommes, bien que représentants d'une extrapolation sont les symptômes d'une société violente et avide. L'argent que brasse certains hommes rendraient fous les hommes qui n'en ont pas autant. L'importance de la vie passe après, mourir mais avec les sous c'est mieux pour eux.

Ce psychopathe qui poursuit l'ouvrier pas moins barré est un réellement un fou furieux, il n'a ni limite, ni conscience, c'est une machine implacable dont la "réussite" est dans l'adaptation et l'art du contre-pied. Il ne fait rien comme les autres et opère à sa manière. La scène finale montre qu'il se fait rattraper tout de même et que derrière sa folie le monde et les hommes le sont tout autant. C'est un animal, il vit d'instinct et agit comme un prédateur, tout être vivant qui passe devant lui est une proie, que ce soit le corbeau sur le pont ou n'importe quel homme qu'il arrête sur la route. Il n'a pas de limites. Il veut en finir avec tout souffle de vie. Son ambition se résume à violence, destruction et mort. Ce n'est pas un monstre c'est un animal tout simplement.

Le fond de ce film est très métaphysique. Nous sommes tous à genou devant la nature. Pourquoi? Nous sommes sa proie, le tueur. Son désir, son objet, le désir pour l'argent, la volonté de vivre sont des inspirations de la vie et de l'essence naturelle de l'homme. Dans le fond ce film est l'intrusion de l'homme dans le calme de la nature, dans l'ordre du monde. Intrusion? Non en fait tout est en ordre, l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire, quoi de plus normal que de se dévorer entre eux. Fondamentalement, et le Comte Zaroff va bien aimer, l'homme a pour seul prédateur l'homme. Je citerai Camus:
"La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie"
Non seulement cette citation est parmi mes préférés, mais là elle trouve un autre écho dans l'expression de ce film. L'homme a bâti la civilisation pour se protéger, lui et les siens, c'est ce degré d'évolution qui résume son instinct de survie et sa volonté de protection s'inverse, désormais elle le détruit. Le mécanique de Camus c'est l'argent. L'homme est sa proie, la proie de la nature et de la civilisation.

En définitive ce film est bien plus profond qu'il n'y parait. De même rien dans ce film ne reste sans réponse, il faut voir ou revoir pour saisir. Mais contrairement à ce que certains pensent il faut bel et bien réfléchir à la fin, car ce film possède un écho universel. Ne pas le prendre pour ce qu'il n'est pas et ça par contre c'est du Cohen tout craché.
TheDuke
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes films révélateurs: à voir absolument, enfin je crois

Créée

le 12 mai 2013

Critique lue 502 fois

8 j'aime

3 commentaires

TheDuke

Écrit par

Critique lue 502 fois

8
3

D'autres avis sur No Country for Old Men

No Country for Old Men
Strangelove
10

Le rouge et le (très) noir

Que se passerait-il si les frères Coen se prenaient à mélanger la violence crue d'un Fargo avec la noirceur d'un Blood Simple ? Je ne sais pas pour vous, mais j'appellerait ça un chef d'oeuvre. Et...

le 11 févr. 2016

114 j'aime

1

No Country for Old Men
DjeeVanCleef
9

Pile ou face

Texas, début des années 80. Alors qu'il chasse à l'ouest de l'état, sur ce territoire encore sauvage, coincé entre les Etats-unis et le Mexique, Llewelyn tombe sur un carnage, une hécatombe : un deal...

le 10 mai 2014

108 j'aime

9

No Country for Old Men
ErrolGardner
10

Non, ce monde n'est pas fait pour un vieux shériff désabusé.

Le film divise. Il y a ceux qui sont dithyrambiques, et il y a ceux qui crient à la tromperie, au simulacre de chef-d’œuvre. Je fais partie intégrante des premiers, et je le hurle sur tous les...

le 23 avr. 2013

100 j'aime

5

Du même critique

Baxter
TheDuke
8

Quelle vie d'humain!!!

Un modèle du genre. Alors quel genre? Ben je ne saurais pas dire. Mais ce genre de film où un facteur fantastique ne trouble pas la réalité dramatique des évènements. Une vraie bouffée d'air frais...

le 16 févr. 2013

20 j'aime

3

Gangs of New York
TheDuke
9

Épique

Une fresque épique, une virtuosité scénaristique, musicale, picturale et une main de maître dans la direction d'acteur. L'équation de la méthode Scorsese, comment donner un souffle épique et...

le 21 juin 2013

19 j'aime

4

The Descent : Part 2
TheDuke
2

Descente à la cave: le retour de la chipo tueuse

En voulant faire un jeu de mot je vais dire que je vais descendre ce film tout moisi. Parce que autant le premier était largement appréciable, là c'est carrément une catastrophe. Une trahison. Comme...

le 10 mai 2013

13 j'aime

4