La fascination de Bertrand Bonello pour Pierre Paolo Pasolini n’est pas étrangère à son cinéma. Ils partagent tous deux un sens inné de l’indépendance. Plutôt de gauche, ils sont bien ancrés dans leur époque mais s’en démarquent intellectuellement, n’hésitant aucunement à remettre en cause un pouvoir institutionnel ou sociétal. Cela ne passe pas par le biais de pensum indigeste, mais plutôt par une mise en exergue sulfureuse d’un être, ou d’un groupe. Pour les deux cinéastes ce qui compte avant tout c’est bien la perception de l’individu dans un contexte, livrant ses craintes, ses failles et le plus souvent une grandeur d’âme non pas référentielle, mais dans ce qu’elle a de plus perfectible et donc de plus humain.


« Le pornographe », « L’Apollonide » ou « Saint Laurent » illustrent parfaitement ce propos. Le décor auquel Bonello apporte un soin tout particulier contextualise, tandis que la caméra focalise sur le(s) visage(s). De ce point de vue l’approche visuelle est irréprochable (on se souvient entre autre de l’âpre et bicéphale combat entre vie publique et vie privée d’un Saint Laurent faillible) et le discours posé est objectif. Bonello ne juge pas, il donne à réfléchir.


« Nocturama » repose sur ce même principe. L’action se situe sur fond d’actualité où le terrorisme sous toutes ses formes enserre opportunément une démocratie fragilisée. Bonello choisit un panel (le terme est loin d’être anodin) d’individus dont l’objectif est de semer une vague de terreur à Paris en provoquant quatre attentats simultanés. Le film en deux temps (la mise en place, l’après) se joue sur quelques heures. L’exaltation et la précision du montage croisé sur la première partie est incroyablement anxiogène nous replaçant dans une réalité terrible. Les motivations de ce groupe ne sont pas connues, juste leur détermination qui rejaillit sur l’écran provoquant un stress permanent. On découvre peu à peu les cibles sans pour autant en saisir vraiment la nature exacte jusqu’aux explosions.


Ce sera le ministère de l’intérieur, une tour de La Défense, la bourse et la Statue de Jeanne d’Arc. Le message marqué se veut politique. Justice, capitalisme et nationalisme devenant les valeurs à abattre. C’est le seul couac du film car en lui donnant une dimension revendicatrice l’objectivité est mise à mal. Il aurait mieux valu la traiter en filigrane.


Car dans la seconde partie Bonello livre certaines clés. Ce groupuscule est essentiellement composé de jeunes de tous horizons, un brillant étudiant futur énarque, un jeune trentenaire en exclusion, un fraîche militante, le rédempteur, le jeune beur impliqué, sa sœur qui « le suit, une graine de facho, un idéaliste, un candide et un jeune typé cité. Ce n’est pas une idéologie marquée qu’ils défendent (politique, spirituelle, ethnique…) mais un rejet global de la société tout en conservant une vraie fascination consumériste (le grand magasin de luxe dans lequel ils évoluent pour se cacher, voire « jouer ») et une innocence probante. Cette galerie de portraits présentée sous forme d’un puzzle est subtilement traitée.


Et c’est sans doute là que Bonello divise. Son film échappe au manichéisme sociétal actuel. En prenant en référence ce groupe que se soude, il met dos à dos les courants de pensées qui de « prévention » à « répression » campent sur des positions rétrogrades et ne répondent plus au malaise d’une jeunesse à laquelle on n’offre plus aucun repère. Sa non sélection cannoise en est un signe. « Nocturama » est à des années lumières d’un trop sage « Entre les murs » de Cantet ou de « Divines » de Benyamina au message ambigu et consensuel. Son constat est beaucoup plus plombant et passablement désespéré. Le film est un reflet sans concession d’une génération montante qui ne trouve plus sa place en sacrifiant leur « utopie ». Et le « Ca devait arriver » résonne alors comme un coup de semonce terrible et inquiétant.
Bonello, ne se trompe pas non plus sur l’empreinte musicale choisie, de « La symphonie funèbre et triomphale » de Berlioz (beau sens de la parabole, 1830 étant l’échec le plus cuisant des mouvements populaires français) en passant par « The persuaders » (avec son côté rassurant) ou encore ses propres compositions martelant l’action, elle brouille le message et souligne l’irréalité des heures qui passent.


Pour quelqu’un né le 11 septembre 1968, il fallait bien un film qui marque son temps, « Nocturama » tout ambigu qu’il soit n’en est pas moins essentiel.

Fritz_Langueur
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le 18 sept. 2016

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