Tom Ford livre là une petite perle, et probablement l'un des meilleurs films de l'année. Les histoires s'enchâssent les unes dans les autres, sans pour autant produire une trame labyrinthique ou trop sophistiquée. Au contraire, il y a une sorte de simplicité, au sens fort du terme, au sens où un Hitchcock est simple, au sens où l'oeuvre est dépouillée de l'accidentel et du superflu.
Une femme reçoit le manuscrit de son ex-mari, alors même qu'elle l'a quitté il y a presque 20 ans pour une vie plus stable, pour un homme plus conforme à l'image qu'elle se faisait des hommes, et surtout plus conforme aux attentes de ses parents. Et puis, elle avait fini par douter du talent d'écrivain de ce jeune bohème, de la vie qu'auprès de lui elle allait finir par embrasser: celle d'un artiste raté, et la frugalité à laquelle mène une existence d'artiste raté.
Mais vingt ans plus tard, il a réussi, et le manuscrit qu'il lui dédicace et lui envoie est prenant, brillant. Un homme roule de nuit avec sa femme et sa fille quelque part dans le Texas sauvage, avant d'être pris à partie par une bande de jeunes assez menaçante pour lui promettre, à lui et sa famille, la plus sordide fin susceptible de figurer dans les faits divers.
On suit les deux histoires, celle d'une lectrice renversée par ce qu'elle lit, celle d'un homme dont la vie se brise soudainement quelque part sur le bord d'une route déserte. Et ces deux histoires s'emmêlent l'une dans l'autre, se parlent ou se murmurent des choses, permet au spectateur de comprendre davantage l'une, grâce à l'autre, et inversement.
La réalisation est au fond assez sobre, parfois lancinante même, simple mais jamais facile: ce que ne laisse pourtant pas présager le générique d'ouverture. Amy Adams y est parfaitement à sa place, une actrice qui, depuis Arrivals, ne cesse de m'étonner d'ailleurs. Quant à Jake Gyllenhaal, il est à l'image de la réalisation: mesuré dans son jeu, authentique.
Il ressort de ce film un discours parcimonieux digne des grands, et une tendance à ne pas tout dire sans pour autant tomber dans l'abscons, l'énigmatique. Car il n'y a aucune énigme, non, tout est dit sans pour autant être explicité. Pourtant, le choix de Tom Ford est clair: montrer chaque personnage dans ses contradictions, ses errances, et ses constructions fictionnelles visant à justifier la vie qu'il a choisi. Et chacun affronte l'épreuve durant laquelle il se retrouve face à ses propres contradictions, jusqu'à Susan et cette scène finale qui frise la perfection.
À voir.

Rémi_Navaron
9
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le 11 juin 2017

Critique lue 238 fois

2 j'aime

Rémi Navaron

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