Quand on aime le genre vampirique, une adaptation du Dracula de Bram Stoker est toujours accueillie avec un mélange d’excitation et de méfiance. Cette œuvre complexe et massive a déjà inspiré le cinéma, de manière plus ou moins heureuse.
À quoi pouvait ressembler une nouvelle lecture en 2024 ? Comment Eggers allait s’emparer des sujets inhérents à ce monstre sacré gothique ?
Et bien sans aucune inspiration ni aucun propos, ce qui fait quand même déjà deux points noirs pour un film.
Outre la laideur de l'objet (alors certes, un film gothique se doit d'être sombre et nocturne, en revanche on peut s’essayer au contraste ainsi qu'à la lisibilité de l'image), la direction d'acteurs est à côté de la plaque. On a l'impression d'assister à une première lecture de scénario où chaque protagoniste ne sait pas trop ce qu'il fait là. Quand le jeu n'est pas grand guignolesque, il est plat (on plaint Lily-Rose Depp qui fait face à des collègues masculins insipides, alors qu’elle-même n'est déjà pas très brillante, contrairement à Edward Cullen). On a l'habitude d'un Dracula soit élégant et séduisant soit ressemblant à une petite bête chelou et anémié, il n'en est rien dans l'oeuvre de Stoker où l'aspect bestial est souligné, et notamment son aspect de vieillard, et le cadavre body buildé que nous propose Eggers est tout bonnement ridicule.
Eggers ne comprend clairement pas l'oeuvre qu'il est en train d'adapter, la limitant à une vague fable sombre et érotique (coucou le male gaze, telle la garde-robe d'un ado d'aujourd'hui, on se sait plus trop si on est en 2004 ou 2024). Exit la réflexion sur le pouvoir et les limites de la science, notamment dans un contexte socio-culturel où l'occultisme trouve un écho important, la folie , à peine effleurée, la terreur de l'altérité, qu'elle prenne la forme de la mort, de la maladie, ou même de l'invasion par "l'autre", l'étranger, dans une Europe qui découvre les nationalismes... Autant de thématiques ô combien actuelles que le réalisateur se contente de résumer à une sexualisation outrancière, à tel point que ça en devient gênant. Oui, le genre vampirique parle de transgression sexuelle (Carmilla de Sheridan Le Fanu est d'ailleurs un roman lesbien), mais pas uniquement. On aurait pu penser que plus de 120 ans après sa publication et moult analyses de texte les hommes auraient enfin saisi ce sous-texte, force est de constater que non, ils sont toujours aussi peu subtils.
D'ailleurs, en parlant de subtilité, même les sous-titres en pâtissent, en se retrouvant affublés d'une typo rappelant celle des films muets, "hey t'as vu, wink wink, j'ai fait une référence à Murnau hey hey".
On sera tous restés jusqu'au bout dans la salle, croisant les doigts et invoquant les esprits frappeurs de nous pincer pour nous réveiller ou pour sauver un peu le navire et les rats qui vont avec, mais les soupirs et les rires nerveux ne trompent pas : c'était une belle purge, et tout cela nous aura laissés exsangues.