Nosferatu, un syndrôme post-traumatique de la première guerre mondiale?

  • Considéré comme le premier film sorti en 1922, « Nosferatu » est le premier film de vampire. Il connaîtra par la suite une longue lignée de film à son effigie. « Nosferatu » sera l’inspiration à d’autres réalisateurs comme Tod Browning avec Dracula en 1931, la Hammer avec Christopher Lee, Terence Fisher avec Dracula, Prince des ténèbres en 1966 ou encore Dracula de 1992 réalisé par Francis Ford Coppola le version la plus proche de Nosferatu en termes de vision et de narration. Il est inspiré du roman de l’écrivain irlandais Bram Stoker paru en 1827. En raison de la non obtention des droits d’adaptation trop onéreux du livre, le réalisateur changea, par conséquent, les noms : Jonathan Harker deviendra Hutter, le professeur Van Helsing, ennemi puissant de Dracula se voit réduit au personnage anodin du professeur Bulwer et le Comte Dracula se prénommera Orlock.
  • Nosferatu est le double maléfique d'Hutter. Bien loin du Ying et du Yang créant une certaine harmonie, nous sommes plutôt dans une confrontation frontale : Qui aura le dessus sur l'autre. Nous le voyons au travers de cet élément : le voyage par la mer de Nosferatu via un chargement de cercueils alors qu’Hutter voyage par la terre à cheval en direction de Wisborg. Whitby devient le port fictif de Wisborg sur la mer baltique. Le destin du personnage est tiraillé entre le moi bénéfique et maléfique. Il y a, également, les deux éléments climatiques : le soleil et la lune. Hutter connaît une vie heureuse et joyeuse alors que Nosferatu connaît une vie plus sinistre durant la nuit. La lune a l’habitude de vampiriser le soleil. Cette dualité est le symbole de la lutte des classes : la bourgeoisie est représentée par le soleil alors que le chaos symbolise la classe pauvre, voire ouvrière. Ce chaos est amplifié par ce phénomène de la répulsion avec la présence de rats. La notion d’invisible est présente tout au long du film et devient inquiétante avec le jeu des ombres de Nosferatu. D’ailleurs, l’analogie avec les animaux est intéressante puisqu’il existe une vie humaine fantomatique via l’expérience réalisée par le scientifique. La plante carnivore le démontre parfaitement avec la plante carnivore dévorant la mouche. Cette plante carnivore peut être considérée comme le mythe du vampire. Le jeu d’ombre de Nosferatu incarne à lui-seul une sorte de monstre avec des tentacules via ses doigts effilés en train de s’étirer. Lorsqu’il exécute un curieux balai afin de séduire Ellen, les doigts s’accrochent à son balcon et se détachent au niveau de son visage tel l’image du polype se détachant au microscope. Seuls son visage et ses mains se détachent de l’image.
  • Au lendemain de la première guerre mondiale, le traumatisme de la défaite se produit. Selon Anton Kaes, un film comme Nosferatu le vampire répond à cette interrogation car il permet justement de se confronter à la mort comme par exemple. Ce défilé de cercueils servant de substitut visuel à l’expérience de la mort de masse au cours de la première guerre mondiale. Cette approche fut pertinente puisque Murnau a lui-même été mobilisé pendant la guerre. Affecté par la mort de son amant le poète Hans Ehrenhaum-Degele. Le cinéma permet de réanimer les morts sous forme d’images animées. Dans Nosferatu le vampire, Hutter quitte sa fiancée pour partir faire une expédition à l’Est au cours de laquelle il affronte la mort via la présence de ce vampire. Implicitement, le film rejoue la destinée de millions d’allemands partis au combat avec enthousiasme mais qui en sont revenus traumatisés. La confrontation avec la mort prend ici la forme d’une rencontre avec un vampire se manifestant sous forme d’ombres ou de rêves semblables à des fantômes donnant cet effet au film d’une inquiétante étrangeté. De cette manière, Nosferatu le vampire retranscrit l’expérience subliminale des soldats dans les tranchées entre la vie et la mort pouvant être pris d’hallucinations. Cet état pouvait les rendre particulièrement sensible à la superstition et à l’occulte. Représenté comme une figure spectrale au travers du langage cinématographique, idée développée par Stacey Abott dans son ouvrage « Celluloid Vampires : Life after death in a modern world ».
  • Quand Nosferatu sortit le 04/03/1922, il est projeté la première fois lors d’un bal costumé après la projection du long-métrage Selon Anton Kaes, la morbidité du film et de la fièvre frénétique de la danse sont des réactions aux multiples réalités coexistant avec l’Allemagne d’après-guerre. S’abandonner dans des efforts hypnotiques d’un film d’horreur n’est pas si différent que de se perdre dans les divertissements de masse. Le cinéma traite alors de la mort et des traumatismes mais il ne représente qu’un film faisant partie intégrante d’une culture d’un loisir trépidant tentant d’oublier de toutes ces forces la guerre.
  • Il souffle un courant d’air glacé venu de l’au-delà écrivait le critique Bela Balazs résumant parfaitement le film.
Lili-Jae
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le 30 mars 2024

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